08/09/2010

Dalaran

Dalaran


Lavinis avait marché sans relâche jusqu’au nord de la Désolation des Dragons. Malgré le blizzard qui frappait férocement la région, elle avait gardé le même rythme accéléré, ce qui posait quelques problèmes à Xyla pour la suivre. Vers midi à peine, elles atteignirent la frontière et pénétrèrent dans la Forêt du Chant de Cristal. Lavinis ne prit pas la peine de sortir sa carte car elle savait que Dalaran se trouvait à cet endroit. Il ne restait plus qu’à trouver la ville mais en suivant le chemin, elles tomberaient forcément dessus !
Malgré le fait que la région était restreinte, elles eurent beau la parcourir du sud au nord, d’est en ouest, Dalaran n’existait pas.
-      Comment veux-tu trouver quelque chose avec toute cette neige qui tombe ? hurla Lavinis, excédée.
-      On va bien finir par la trouver… Elle est peut-être cachée, suggéra Xyla.
-      Cachée où ça ? demanda Lavinis, mordante dans ses propos. Sous terre ? Dans les airs peut-être ? Ne sois pas idiote !
-      C’est quand même la cité des mages… répondit Xyla, blessée par l’attitude de son amie.
-      Continue de chercher !
Lavinis se remit en marche vers l’ouest puis s’arrêta soudainement.
-      Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Xyla.
-      Tu as vu ?
-      Vu quoi ?
-      Là-bas !
Lavinis pointa du doigt l’horizon blanc et brumeux.
-      Il n’y a rien.
-      Si, il y a eu une lumière mauve !
A ces mots, elle se mit à courir en direction de la source lumineuse qu’elle avait entraperçue.
-      Attends, c’est peut-être dangereux ! cria Xyla en la suivant.
Mais à cet instant, ce ne fut pas la lumière mauve qu’elles virent mais une immense explosion, répandant crachats de feu et de fumée. Lavinis ne s’arrêta cependant pas et redoubla la cadence. L’endroit n’était pas bien loin et le blizzard, moins épais. Elles débouchèrent dans un temple en ruine, protégé en partie par une demi-sphère d’énergie mauve, qui subissait en ce moment-même, l’assaut d’une armée de morts réanimés par le Fléau. Lavinis et Xyla écarquillèrent les yeux en voyants ces corps décharnés qui continuaient à avancer, malgré le feu que leur projetaient les mages défendant la demi-sphère.
Lavinis sentit sa respiration se saccader. Elle se trouvait enfin devant ce Fléau ! Celui qui avait emporté sa famille ! Celui qu’elle était venue écraser ! Elle serra son arme fermement et s’élança vers l’armée morte-vivante. Xyla voulut crier pour la retenir mais le bruit de l’attaque étouffa sa voix. Elle se transforma vite en félin et s’élança à la poursuite de son amie, qui semblait avoir perdu la raison.
-      MEURS, ORDURE ! hurla Lavinis en écrasant sa lourde masse sur le crâne décomposé d’un soldat.
Dans un bruit de viande et d’os pourris, la tête de sa victime explosa en l’éclaboussant d’un sang visqueux. Lavinis frappa le suivant, de la même manière, puis un autre et encore un autre. Elle fermait les yeux, pour ne pas voir l’horreur qui se tenait à sa portée. Lorsqu’elle ne sentit plus sa masse rebondir sur les corps désarticulés, elle regarda enfin autour d’elle. Un nombre impressionnant de cadavres en morceaux jonchait le sol. Lavinis eut un haut-le-cœur et vomit sur l’un d’eux. Xyla se tenait à quelques mètres derrière elle, veillant à ses moindres faits et gestes. Elle n’osait cependant pas s’approcher plus, craignant une nouvelle fois que Lavinis soit redevenue agressive à son égard, comme après leur passage au Sanctuaire de Givrelame. Lavinis se retourna finalement vers Xyla, les yeux remplis de larmes.
-      C’est leur faute, dit-elle en sanglotant.
Xyla ne répondit rien.
-      Il faut que je les venge, tu comprends ? Il faut que je les tue jusqu’au dernier !
-      Ca ne les fera pas revenir, Lavinis… dit Xyla, désolée.
-      Je m’en moque ! Je veux qu’ils meurent tous ! C’est une pourriture qui infeste ce monde !
Lavinis avait retrouvé un ton ferme et déterminé. Elle se retourna à nouveau vers le reste de l’armée du Fléau, qui était bombardée de boules de feu. Parmi les soldats qui se ressemblaient tous, elle repéra soudain leur commandant : plus grand, plus menaçant, vêtu d’une lourde armure. Elle s’élança vers lui, en hurlant quelque chose en Thalassien : « Bash'a no falor talah! ».
En entendant le cri de Lavinis, le commandant se retourna vers elle et se mit à rire aux éclats. Lavinis fut étonnée de sa réaction et ralentit son assaut. Le commandant ôta alors le lourd casque qui couvrait son visage et elle reconnut un être de son peuple, un elfe de sang !
-      Non… c’est pas possible ! murmura-t-elle, en s’arrêtant.
Le commandant pointa son épée vers Lavinis puis la dirigea vers les mages qui tentaient de détruire son armée.
-      Tremblez, mortels ! dit-il d’une voix glacée et rauque. Tremblez car l’avènement du Roi Liche arrive à son apogée !
Il serra ensuite son épée fermement et se dirigea vers Lavinis, qui ne bougeait plus. Au moment où il allait porter son coup, une immense gerbe de feu le dévia de sa trajectoire, éclaboussant son visage. L’elfe de sang se retrouva à terre, écrasé par le poids de sa propre armure.
-      Venez ! hurla la mage qui venait d’user de son feu pour protéger Lavinis.
Xyla attrapa Lavinis par le bras et courut aussi vite que possible vers la mage et la demi-sphère mauve.
-      Prenez le portail vers Dalaran ! Vous y serez en sécurité !
Xyla s’exécuta immédiatement et toucha l’objet triangulaire et en apesanteur que venait d’indiquer la mage. Elle disparut immédiatement, dans un éclair mauve. Voyant que Lavinis ne bougeait pas, la mage la poussa vers le portail et lui hurla de se téléporter. Lavinis regarda autour d’elle et posa sa main sur le portail. Elle eut encore le temps de voir arriver une immense boule de feu dans sa direction et puis plus rien.

La boule de feu, lancée par le Fléau, avait franchi la barrière énergétique que maintenaient les mages et s’était écrasée sur le portail de Dalaran, le réduisant en pièces au moment du transfert de Lavinis.

* * *

Dans un immense éclair mauve, Lavinis se retrouva sans une petite pièce ronde, loin de la bataille qui faisait rage dans la Forêt du Chant de Cristal. Elle s’effondra contre le mur, haletante. Xyla se tenait en face d’elle, appuyée également contre le mur. Lavinis respirait de plus en plus vite. Elle mit nerveusement ses mains devant son visage, pour le cacher. Sa respiration était très bruyante et Xyla commença à s’inquiéter de la réaction de son amie au téléport.
-      Lavinis, est-ce que ça va ? demanda-t-elle.
Lavinis ne répondit pas et se mit soudain à rire, entre deux essoufflements. Elle ria de plus belle et laissa glisser ses mains de son visage, comme on ôte un masque trop longtemps porté. Ses oreilles étaient affaissées et son rire devint rauque. Xyla secoua la tête et sentit l’angoisse s’emparer d’elle.
-      Lavinis, réponds-moi, s’il te plait !
Mais cette dernière ne prêta pas la moindre attention aux paroles de Xyla. Elle se releva, envoya un baiser au portail qui se tenait dans les airs, au milieu de la pièce dans laquelle elles se trouvaient et poussa un profond soupir de soulagement.
-      Enfin !! cria-t-elle de sa voix rauque.

* * *

Dalaran, la cité des mages, était érigée sur un immense rocher flottant dans les airs, au-dessus de la Forêt du Chant de Cristal. Autrefois située sur les terres au nord du royaume humain de Stromgarde, les mages de la cité avaient entrepris de déplacer la ville, pour la protéger du Fléau qui courrait sur les terres des Royaumes de l’Est. Ils s’étaient alors sédentarisés au milieu des terres gelées de Norfendre, suffisamment en hauteur pour être à l’abri de la plupart des attaques. A l’heure où toute union est une force supplémentaire dans la lutte contre le Fléau, Dalaran ouvrit ses portes à la Horde. Ile de paix artificielle, la cité des mages maintient fièrement l’ordre et le respect entre les races, autrefois ennemies.
La magie devait probablement inspirer la richesse de l’esthétique car les constructions de la ville étaient fabuleuses. Quelques tours, d’une hauteur vertigineuse, dominaient les quartiers. De fines sculptures dorées courraient le long de leurs murs pour grimper jusqu’à leur sommet. Bien qu’il n’y eût pas de balai enchanté dans les rues, le sol – fait de pavés bleutés – restait toujours propre. L’ordre qui était tenu à l’intérieur de la cité était en partie dû au fait que le quartier général de la Horde et de l’Alliance étaient situés aux antipodes l’un de l’autre. Mais même s’il semblait y régner paix et calme en surface, les entrailles de la ville étaient un lieu de rencontre et de débauche. On y assistait souvent à des règlements de compte, on y trouvait de la marchandise douteuse et les personnes qui la vendaient n’étaient jamais très honnêtes. Les gardes n’osaient pas s’aventurer plus loin que l’entrée du tunnel qui menait aux égouts, de peur de ne jamais revoir la lumière du jour.

Xyla se réveilla avec l’odeur du jambon qu’on fumait. Elle s’était endormie la veille, dans un hamac placé sur la mezzanine de l’auberge du quartier de la Horde. Sa tête était embrouillée et elle avait du mal à se souvenir de ce qui s’était passé avant son arrivée dans l’auberge. Elle regarda autour d’elle pour repérer les lieux. La pièce était chaleureuse, faite principalement de bois et de pierres brutes. On entendait le feu crépiter dans l’âtre, en bas et quelques personnes discutaient autour des tables. Xyla chercha Lavinis mais, apparemment, elle était toute seule. Elle ne savait pas combien de temps elle avait pu dormir et ne se souvenait même pas si elle avait été accompagnée jusqu’ici.

Inquiète de l’absence de son amie, Xyla se mit rapidement à sa recherche. Elle rassembla ses affaires, qui avaient été jetées négligemment à terre, la veille. Elle s’étonna de ce comportement de sa part ; même si elle avait encore du mal à se souvenir de ce qui s’était passé avant qu’elle n’atterrisse dans ce hamac, ce n’était pas dans ses habitudes, ni celles de Lavinis d’éparpiller le contenu de leur sac. Perdue dans ses pensées, Xyla mit la main sur une photo sur laquelle elle s’attarda distraitement. Il s’agissait de la photo que Lavinis avait prise chez ses parents, avant de quitter Lune d’Argent. Pourquoi aurait-elle laissé cette photo ici ? Xyla regarda parmi tous les objets qui traînaient au sol et constata que la moitié appartenait à Lavinis. En cherchant plus loin, elle retrouva le sac vide de son amie,  abandonné dans un coin de la pièce. Xyla était perplexe. Si on avait voulu les voler, pourquoi ne pas avoir emporté les objets de valeur ? On ne leur avait rien dérobé, pas même leur argent. Elle termina de ranger tous les accessoires importants dans son sac et déposa le reste dans le sac de Lavinis, qu’elle laissa provisoirement sous son hamac.

Xyla sortit de l’auberge et fut étonnée de la douceur de l’air, à l’extérieur. Plus de froid mordant, de blizzard, de neige ou de glace. Elle se crut en Mulgore, en plein été. Contente de retirer sa lourde veste, qu’elle rangea tant bien que mal dans son sac déjà plein à craquer, elle commença un premier tour de la ville, à la recherche de Lavinis. Près d’une petite fontaine, dans le fond de laquelle brillaient de nombreuses pièces de cuivre, d’argent et d’or, Xyla interpella une humaine, adossée à un mur.
-          Excusez-moi, dit-elle.
L’humaine releva son chapeau de paille pour voir le visage de son interlocutrice.
-          Wos ? demanda-t-elle à Xyla, perplexe.
-          Heuuu, est-ce que vous avez vu mon amie, par hasard ? demanda Xyla, en sortant la vieille photo de Lavinis, la représentant à ses dix ans.
L’humaine prit la photo en main et l’observa attentivement. Elle la rendit finalement à Xyla et lui donna une pièce d’or.
-          Non, je ne veux pas d’argent ! Je veux trouver mon amie !
L’humaine, embarrassée, regarda Xyla et lui débita un flot de paroles étranges, accompagnés de gestes des mains. Au final, elle semblait montrer un magasin, situé un peu plus loin. Xyla la remercia, sans n’avoir rien compris, et se dirigea vers ledit lieu.
Il s’agissait d’un magasin d’animaux, tenu par une gnome.
-          Oh, bonjour Chromie ! dit Xyla en entrant.
La gnome la dévisagea se mit à rire d’une voix fluette.
-          Vous me confondez avec un dragon de l’ordre draconique bronze, noble taurène ! répondit la gnome, avec un léger accent.
-          De quoi ?
-          Je ne suis pas Chromie, je suis Breanni.
Incrédule, Xyla se pencha sur la gnome pour l’observer de plus près.
-          Vous lui ressemblez très fort, en tout cas ! Chromie, c’est pas un dragon, c’est une personne comme vous !
Breanni sourit face à la crédulité de la taurène.
-          Que puis-je faire pour vous ? demanda-t-elle, pour couper court.
-          Je cherche mon amie, Lavinis. Vous l’avez vue ? demanda Xyla en tendant la photo.
-          Je suis désolée mais il n’y a pas d’enfant dans la cité, lui répondit Breanni. Elle est réservée aux combattants du Fléau et aux mages, principalement.
-          Mais c’est pas une enfant ! Elle a mon âge… à peu près, je crois.
-          Dans ce cas, votre photo n’est pas très fiable… Je ne peux rien faire pour voir, à moins que vous vouliez m’acheter un adorable serpent albinos ?
Xyla soupira et reprit la photo. Elle fit un petit tour du magasin, pour se changer les idées avant de se remettre en route. Il y avait de nombreuses espèces, venues de toutes parts : araignées, louveteaux, tortues, serpents, oiseaux… même un gnome, en tenue de plongeur, dans un aquarium ! Avant de sortir, son attention fut retenue par un animal rond, dans une vitrine chauffée. Xyla retint sa respiration en s’en approchant. C’était un œuf, d’un grand format, blanc à taches roses… Il s’agissait de son œuf ! Celui qu’on lui avait volé à Shattrath !
-          C’est mon œuf ! dit Xyla en montrant la vitrine à Breanni.
-          Les taurènes ne pondent pas d’œufs… rétorqua la vendeuse.
-          Non, non, c’est mon bébé ! Je l’ai trouvé mais on me l’a volé il y a plusieurs mois !
-          C’est impossible, répondit Breanni, les œufs ne mettent pas aussi longtemps pour éclore !
-          Combien ? demanda Xyla.
-          Pardon ?
-          Vous voulez pas me croire alors je vous demande combien vous le vendez ?
-          Cinq cent pièces d’or ! C’est un œuf très rare !
Xyla sortit sa petite bourse et la vida sur le comptoir. Il y avait à peine cent pièces d’or mais elle ne se découragea pas pour autant.
-          Vous pouvez me le faire au cinquième du prix ? demanda-t-elle avec son plus beau sourire.
-          Une petite remise, je veux bien mais cent au lieu de cinq cent, c’est tout de même exagéré, non ? Je vous le fait à trois cent pièces d’or.
-          Mais c’est tout ce que j’ai…, minauda Xyla tristement.
-          Revenez plus tard, dans ce cas !
-          Non ! Attendez…
Xyla fouilla dans son sac et en sortit la bourse de Lavinis, qui était toujours plus remplie que la sienne. Elle la vida et compta cent quatre-vingts pièces d’or.
-          J’ai deux cent quatre-vingts…
-          Très bien, céda Breanni. Il est à vous ! Prenez en grand soin !
La gnome sortit délicatement l’œuf de sa vitrine chauffée et l’enroula dans une étoffe de laine épaisse. Elle ajouta une sangle bien serrée et tendit l’œuf à Xyla qui sautillait de joie.

En sortant de l’animalerie, son œuf bien serré contre elle, Xyla se heurta à une elfe habillée très légèrement.
-          Heuu, excusez-moi, dit Xyla, je ne vous avais pas vue…
-          Moi j’aurais préféré ne jamais te voir… soupira l’elfe, d’une voix rauque.
-          On se connait ? demanda Xyla en se penchant sur son interlocutrice.
L’elfe leva les yeux au ciel puis éclata d’un rire glacé qui fit frissonner Xyla.
-          Est-ce que vous avez vue mon amie ? demanda-t-elle finalement en sortant la photo.
L’elfe eut un sourire narquois en voyant cette vieille photo. Elle lissa ses longues oreilles tombantes et passa sa main dans ses cheveux raides et courts.
-          Ca fait longtemps que je n’ai plus vu Lavinis… répondit-elle.
Le visage de Xyla s’éclaira.
-          Vous la connaissez ?
-          Oui, très bien même !
-          Quand est-ce que vous l’avez vue, pour la dernière fois ?
L’elfe éclata à nouveau de rire et Xyla eut la détestable impression qu’elle se moquait d’elle. L’attitude provocante de cette elfe n’était pas non plus pour la mettre à l’aise. Ses vêtements étaient si courts qu’on aurait pu croire qu’elle avait oublié d’en mettre.
-          La dernière fois que j’ai vu Lavinis, expliqua l’elfe, elle prenait le portail pour Dalaran… Mais quelque chose a dû mal se passer car elle n’est jamais arrivée à bon port !
Elle eut alors un rictus moqueur et jeta la photo à terre.
-          Je crois que tu devrais arrêter de la chercher, stupide vache !
« Stupide vache », Xyla avait déjà entendu ces mots dans la bouche de Lavinis, lorsqu’elle n’était plus elle-même. Elle fronça les sourcils et scruta l’elfe qui se tenait en face d’elle. Au bout de quelques secondes, elle crut sentir son cœur s’arrêter dans sa poitrine.
-          Lav… Lavinis ? balbutia-t-elle.
-          Mmmmmh, non ! Raté ! Ce n’est pas elle… Ce n’est plus elle, répondit l’elfe en ricanant.
-          Pourquoi tu as coupé tes cheveux ? demanda Xyla, qui venait de reconnaître son amie. Ils étaient très beaux, quand tu les avais longs !
-          Je n’aimais pas son look, la vache ! J’en ai également profité pour me faire trouer les oreilles et me faire tatouer un gnome sur les fesses ! Tu veux le voir ?
Xyla était désemparée. Comment Lavinis avait-elle pu changer comme ça en une journée ? Elle était méconnaissable ! Elle grimaça en voyant le gnome qui posait vaillamment sur les fesses que lui tendait son amie.
-          Lavinis, tu ne devrais pas…
-          Arrête de m’appeler comme ça ! s’énerva l’elfe.
-          Mais tu es Lavinis !
-          Non, ce n’est plus Lavinis.
Xyla sentit sa bouche se tortiller dans tous les sens et les mots se coincèrent en masse dans sa gorge. Elle devait se rendre à l’évidence que le corps de son amie était à présent animé par quelqu’un d’autre.
-          Où est-elle ? réussit-elle à demander.
-          Quelque part où elle m’avait aussi bannie. Retour à l’envoyeur, comme on dit ! se moqua l’elfe.
A ces mots, elle tourna les talons, pour s’éloigner. Xyla lui agrippa le bras, pour la retenir, les larmes aux yeux.
-          Arrête ton char, la vache !
-          Non, toi arrête ! Je ne te trouve pas drôle !
-          Mets-toi bien sous tes cornes de bovine que c’est à présent Sinival qui contrôle la situation !
L’elfe dégagea son bras, crachat sur les sabots de Xyla et s’éloigna en riant.

Les jours qui suivirent, Xyla essaya maintes fois de revenir vers son amie, en espérant que cette folie ne soit que passagère. Mais à chaque fois, elle se heurta violemment à une Sinival, de plus en plus agressive à son égard.
-          Dis-moi, la vache, tu l’as rangée où la bourse de Lavinis ? Je la cherche depuis plusieurs jours…
-          Heuuu, c'est-à-dire que… J’ai tout dépensé en fait ! expliqua-t-elle maladroitement.
-          Tu as quoi ? hurla Sinival en s’approchant d’un air menaçant.
Sentant la menace lui débouler dessus, Xyla tenta de justifier sa dépense.
-          Tu te souviens de mon œuf ? Et bien, je l’ai retrouvé mais dans un magasin… et il était très cher parce que très rare ! C’est normal, c’est mon œuf…
-          Tais-toi !
-          Je vais te rembourser, dit Xyla, honteuse.
-          Je n’ai pas besoin de tes gros sabots pour gagner de l’or. Mon corps fera largement l’affaire !
-          Comment ça ?
-          Oublie ! Et lâche-moi, pour la millième fois !

Xyla finit par comprendre que l’état de Lavinis n’était plus un évènement ponctuel, et qu’elle se trouvait bel et bien confrontée à quelqu’un d’autre. Elle ne comprenait cependant pas le comportement de Sinival à son égard. Pourquoi cette dernière refusait-elle sa présence ? Xyla soupira et sentit son ventre se nouer en constatant qu’elle était assise toute seule à une table, qu’elle n’attendait personne et que personne ne l’attendait. Cela faisait maintenant dix jours qu’elles étaient arrivées à Dalaran mais leurs chemins avaient divergé à une vitesse folle qui sembla représenter des années aux yeux de Xyla.
Elle finit son repas qui avait eu le temps de refroidir et quitta sa table. L’aubergiste avait été clément vis-à-vis d’elle et lui avait accordé un crédit. Elle prit son œuf, soigneusement déposé auparavant sur la chaise à côté d’elle, et le sangla fermement contre sa poitrine, bien au chaud et sortit de l’auberge pour aller se promener dans la ville et tâcher de se changer les idées à l’approche du soir.
Il faisait doux dehors, comme toujours à Dalaran. Xyla erra dans les rues, passant devant la boutique d’alchimie où des breuvages bouillonnaient dans des éprouvettes. Sur les étagères du magasin, divers ingrédients étranges étaient enfermés dans des bocaux en verre. Un peu plus loin, il y avait une bijouterie mais les pierres précieuses n’intéressaient nullement Xyla. Son seul bijou était le bracelet qu’elle avait depuis toujours. Tout en continuant à marcher, elle s’attendrit plusieurs minutes sur le symbole qui y était dessiné. Elle repensa à sa mère ourse qui l’avait tant protégée pendant toutes ces années et lui avait apporté chaleur et réconfort. Lorsqu’elle releva les yeux, elle se trouvait sur une place circulaire, un peu en retrait par rapport au reste de la ville. Xyla comprit vite qu’il s’agissait d’une aire d’atterrissage, en évitant de justesse de se faire écraser par un dragon qui se posait. Exténuée par les évènements, elle repéra une vieille machine volante toute rouillée qui gisait lamentablement au bord de l’aire. Xyla s’installa sur la banquette arrière, dans un grincement qui lui fit croire que l’appareil allait se disloquer complètement. Elle prit sa couverture dans son sac et la déroula sur elle, en mugissant doucement. La solitude ne lui allait pas du tout… Lavinis lui manquait tant. Elle se tourna plusieurs fois sur le siège inconfortable puis trouva une position adéquate et se couvrit entièrement de sa couverture, pour s’endormir.