19/09/2010

La Porte des Ténèbres

La Porte des Ténèbres


La nuit venait tout juste de tomber sur le Marais des Chagrins lorsqu’un trio d’un assortiment douteux foula les terres vaseuses de la région. Le stridulement des grillons s’arrêta soudain à la venue des étrangers. Leurs pas feutrés étaient étouffés par la chaleur poisseuse gardée par le marais. Ils avançaient à tâtons car l’obscurité de la nuit semblait se délecter de toute source de lumière.
-          Ah, j’ai été piqué ! Quelle horreur ! hurla soudainement la  grande silhouette sombre qui fermait la marche.
-          Piqué par une mouche taurènivore ? hurla la personne du milieu, dans un élan de panique.
-          Mais taisez-vous ! On ne sait pas ce qu’il peut y avoir ici ! chuchota la silhouette qui ouvrait le chemin, en se détachant brièvement de l’ombre.
Devant eux, la lueur de quelques torches émergea enfin de la noirceur de la nuit. Le vacillement des flammes qui semblaient lutter pour continuer de brûler indiquaient à quel point l’air était difficilement respirable.
-          Là-bas, une lumière !
-          Pas trop vite, on ne sait pas si c’est ami ou ennemi ! calma immédiatement la personne de devant, en rattrapant par la queue, l’ardeur de la seconde silhouette.

En s’avançant doucement, la vue se dégagea progressivement et les trois étrangers reconnurent enfin le gabarit de deux orcs dressés fièrement devant une entrée faite de rondins massifs. Deux grandes torches surplombaient la gueule béante du village et leur chaleur se reflétait en leurs sœurs jumelles, plantés dans la terre humide du marais.
-          Lok’tar, voyageurs ! Cherchez-vous l’abri de Pierrêche ?
La lumière qui s’était à présent intensifiée dévoila une elfe de sang de corpulence agile, à l’œil vif. Ses cheveux blonds cendrés étaient relâchés et couvraient ses épaules. Derrière elle se tenait une taurène blanche, couverte de vase, qui gesticulait nerveusement en chassant des mouches imaginaires. Un grand coup de patte fendit l’air et finit sa course sur le museau d’un tauren qui s’était jusque là caché dans l’ombre de la taurène blanche.
L’elfe de sang, qui avait pris la peine de se retourner pour présenter ses compagnons aux orcs, grimaça en voyant le spectacle lamentable qu’offraient les deux taurens. S’ils avaient voulu faire bonne impression pour augmenter leurs chances d’être accueillis, c’était plutôt raté…
-          Veuillez excuser mes amis. Le voyage a été très long pour nous tous et nous avons besoin de repos. Auriez-vous la bonté d’héberger trois voyageurs ? Nous serons aussi discrets que possible, ajouta enfin l’elfe pour rassurer les orcs.
C’était bien entendu sans compter les hurlements des deux taurens qui étaient à présent poursuivis par une nuée de mouches taurènivores !

* * *

-          Vous ne m’avez tout de même pas facilité la tâche, vous deux ! ronchonna Lavinis en terminant son morceau de viande.
-          Tu n’imagines pas comme ce marais est un enfer ! Il faut qu’on s’en aille au plus vite ! rétorqua Xyla, d’une voix paniquée.
-          Et toi, Malevih ? Tu es obligé de suivre toutes les … fantaisies de Xyla ?
-          Lhes mhouches thaurhènivhores, ch’est morthel ! articula-t-il non sans mal, avec l’énorme morceau de chou qu’il venait de s’enfoncer dans la bouche.
Lavinis soupira lourdement. Son repas terminé, elle se releva et se dirigea vers l’auberge, où ils avaient déposé leurs affaires quelques temps auparavant. La bâtisse était modeste mais chaleureuse. L’aubergiste était installé à une table, près de l’entrée. Il marmonnait des mots sans aucun sens, le regard plongé dans un livre. D’un geste de la main, il indiqua à Lavinis l’escalier.
-          J’ai fait monter vos affaires et préparé trois couches, dit-il avant de se replonger dans ses formules étranges.
-          Merci.
Lavinis monta à l’étage pour se coucher. La journée avait été particulièrement épuisante et cela faisait plus d’une semaine qu’ils n’avaient pas dormi sous un toit. Le soulagement soudain qu’elle éprouva à l’idée de dormir au chaud et sec décrocha un sourire à l’elfe. Elle s’allongea sur sa couche, près du mur et sombra rapidement dans un profond sommeil ; demain, ils atteindraient leur objectif.

* * *

Le lendemain à l’aube, après un brin de toilette et un repas rapide, Xyla, Lavinis et Malevih se remirent en marche vers l’ouest. Il leur restait à suivre le chemin – visible à présent –, tourner à gauche à l’embranchement et ils entreraient enfin en Terres Foudroyées. Après ça, il leur faudrait encore traverser pratiquement l’entièreté de la contrée pour atteindre le sud et la Porte des Ténèbres ; entrée sur l’Outreterre. Heureusement, le chemin était simple, sans embûche et traçait pratiquement tout droit.
En relevant les yeux de sa carte, Lavinis mémorisa une dernière fois mentalement le trajet, avant de rouler le parchemin.
-          Bien, il nous faudrait quelques vivres avant de traverser la Porte ! annonça-t-elle. On ne connait pas les créatures qui se trouvent de l’autre côté et je n’ai jamais rien lu sur l’Outreterre donc nous allons faire quelques réserves, histoire de ne pas prendre de risque.
-          On ne peut pas la traverser dans les deux sens, la Porte ? demanda innocemment Xyla.
En guise de réponse, Lavinis se retourna vers Malevih.
-          Euuuuh, c’est que … je ne sais pas, en fait… baffouilla Malevih. Mais je suppose que oui, on peut ! ajouta-t-il à la vue paniquée de Xyla.
-          Bon, on ne va quand même pas prendre le risque. Je vais aller chasser au nord-ouest ; Xyla, tu iras vers l’est et Malevih … tu essayes d’attraper quelque chose.
Au bout d’une bonne demi-heure, Lavinis et Xyla se retrouvèrent. Lavinis avait réussi à chasser un jeune crocilisque et était en train de découper les morceaux et de les préparer pour les conserver quelques jours. Xyla, quant à elle, avait ramené trois clampants. Leur chair, bien cuisinée, était savoureuse et elle avait absolument tenu à emporter ce goût une dernière fois avec elle, au cas où il n’y aurait pas de retour possible.
-          Il est où, Malevih ? Il va nous ramener un ravasaure ou quoi ? ironisa Lavinis.
Pour toute réponse, elle eut droit à une main vaseuse et dégoulinante sur l’épaule. L’elfe bondit sur ses jambes en faisant un saut en arrière. Elle dégaina son arme vers la créature poisseuse qui voulait l’attaquer. Mais l’effet seul de la posture défensive de Lavinis suffit à la bête pour que celle-ci aille se terrer un peu plus loin, en laissant de gros pas de sabots affolés.
-          M…Malevih ? osa-t-elle.
Du tas de boue émergea enfin un museau rosé.
-          J’ai aussi ramené quelque chose, dit fièrement Malevih !
-          Oui … de la boue !
-          Non, à manger !
-          Eh bien, donne-le moi, que je le prépare pour le voyage.
Malevih détacha un petit morceau de boue de son torse et le tendit vers Lavinis en le secouant légèrement. La vase s’écoula pour découvrir un crapaud mort, que Malevih semblait avoir eu beaucoup de mal à avoir, raison de sa fierté sans mesure !

* * *

Les préparatifs terminés, Lavinis vérifia une dernière fois si rien ne leur manquait. L’idée de passer dans un autre monde l’excitait mais lui faisait peur également car, pour la première fois, elle allait enfin franchir le seuil de l’inconnu !
Elle accrocha solidement son sac à dos et posa une main ferme sur l’épaule de Xyla, qui s’était assise et traçait des dessins dans la boue en chantonnant.
-          On y va ?
-          Je suis prête !
-          Où est encore passé Malevih ? demanda Lavinis dans un profond soupir d’exaspération.
-          Je suis ici !
La voix sortait du buisson situé à côté de Xyla. Lavinis s’en approcha en fronçant les sourcils. En se penchant sur l’amas de feuilles, elle reconnut la queue tremblante de Malevih qui ressortait de son camouflage.
-          A quoi tu joues ?
-          C’est pour la Porte … Je ne sais pas si elle laisse passer tout le monde.
-          Et pourquoi elle ne nous laisserait pas passer ?
-          Vous si, moi … je ne sais pas.
-          Arrête tes idioties maintenant ! On y va !
Lavinis agrippa la queue de Malevih pour l’extraire de son pitoyable déguisement. Ce dernier tenta de s’accrocher à tout ce qu’il pouvait, en poussant des mugissements terrifiés. A bout, Lavinis lâcha prise, ce qui propulsa Malevih en avant, tel un élastique trop tendu. Le tauren termina sa course sur Xyla, qui avait observé toute la scène, assise dans la boue.
-          P…pardon, Xyla. Je ne voulais pas te bousculer de la sorte.
-          Tu nous avais dit que c’était sans danger là-bas ; pourquoi tu as si peur ? demanda-t-elle innocemment, sans tenir compte du fait qu’il l’écrasait complètement.
Malevih se redressa pour laisser un peu d’air à Xyla. Son regard croisa celui de la jeune taurène. Les anciens disent que les yeux sont une fenêtre sur l’âme et qu’on apprend à parler aux esprits avec l’essence même de l’âme. Certaines fenêtres sont plus ouvertes que d’autres et c’est ce qui qualifie le talent, la plupart du temps. Malevih ressentit un frisson étrange en plongeant son regard en celui de Xyla. Il se sentit enveloppé d’une douce chaleur, comme s’ils avaient entre eux un lien invisible mais d’une force étrange.
-          Malevih ? J’aimerais me mettre en route à présent si tu n’y vois pas d’inconvénient …
-          Hum ? Ah oui ! Désolé.
Malevih se releva et tendit sa main pour aider Xyla à se redresser. La jolie taurène blanche qu’elle était ce matin, après son brin de toilette, était à présent redevenue une taurène brune.
Lavinis rit en les observant tous les deux.
-          Vous êtes bien assortis, comme ça !

Traverser les Terres Foudroyées fut un jeu d’enfant, après tout ce qu’ils avaient déjà enduré. Le chemin était fidèle à la carte et, bien vite, ils se retrouvèrent au bord d’un immense cratère. Au centre de celui-ci, se dressait dans toute sa grandeur, la Porte des Ténèbres.
-          Alors, c’est à ça que ça ressemble ! s’exclama Lavinis en observant minutieusement l’édifice.
La Porte semblait avoir été taillée dans la pierre, au cœur même d’Azeroth, pour avoir ensuite été extirpée du sol par des forces magiques. Elle était gardée par trois entités rigides : de part et d’autre, de grandes statues encapuchonnées, et tenant une épée à deux mains, devant elles, fixaient l’horizon de leurs yeux rouges. En surplomb, un serpent immobile menaçait, de sa gueule ouverte, quiconque aurait voulu s’approcher des lieux. Cependant, la Porte semblait également vouloir inviter les curieux, de sa pente douce qui s’engouffrait dans sa gueule béante. De l’autre côté, nul n’aurait pu prévoir ce qui s’y trouvait. A priori, la Porte s’ouvrait sur les profondeurs de l’Univers. Mais au fur et à mesure qu’on s’en rapprochait, un chant s’élevait, en provenance de la Porte elle-même. Un chant qu’on aurait dit murmuré par 10 000 âmes enfermées de l’autre côté.
-          C’est vraiment fascinant ! conclut Lavinis, arrivée au seuil de la Porte.
Xyla se tenait à ses côté et avait sortit son carnet ainsi que son crayon bleu mais, pour la première fois, elle n’arrivait pas à représenter ce qu’elle voyait. Elle se contenta de mugir de satisfaction.
Prête à passer le pas, Lavinis tendit sa main vers Xyla en lui souriant. Elle allait faire  un grand saut vers l’inconnu et elle le faisait avec son amie la plus fidèle.
Mais au moment où elle allait traverser, un détail, qui lui avait échappé jusque là, frappa soudain son esprit.
-          Mais où est Malevih ?
En regardant plus loin, elle remarqua un tas de pierres tremblant, à l’endroit où leur regard avait embrassé celui de la Porte et de ses gardiens figés.
Xyla s’élança vers Malevih pour aller le cueillir. Elle l’agrippa et le poussa jusqu’à la Porte, sans aucun problème.
-          Aller, Malevih ! Ca va être amusant, c’est l’aventure avec un grand V ! annonça fièrement Xyla avant de pousser Malevih dans le vortex de la Porte des Ténèbres.