24/09/2010

Nouvelle rencontre

Nouvelle rencontre


A minuit, le hululement d’une chouette fut suivi d’un cri d’effroi et de pleurs. L’oiseau nocturne s’envola en jetant un regard en biais à la source de ce bruit : une petite taurène au pelage blanc et soyeux, au crin noir et épais qui avait été dompté au mieux en deux tresses courtes. La taurène était recroquevillée sur elle-même et pleurait à chaudes larmes en murmurant des mots d’une douceur sucrée qui semblaient la rassurer pour qu’elle ne sombre pas.
Cela faisait une semaine que Xyla avait quitté la clairière des druides, connue sous le nom de Reflet-de-Lune. Elle avait expliqué à son Maître que Vangelis et Ikhé lui manquaient trop et qu’elle voulait les retrouver. Il n’avait pas vraiment été enthousiaste à l’idée de laisser partir son élève aussi vite, surtout une élève qui aurait pu lui apporter beaucoup à lui-même. Aussi, lui avait-il remis un orbe qui pourrait la transférer à Reflet-de-Lune dès qu’elle aurait envie de revenir parmi les druides et auprès de lui. Xyla avait emballé soigneusement l’orbe dans un bout de tissu et l’avait rangée à côté du crayon bleu. Elle n’avait pas très bien compris à quoi servait l’objet mais le trouvait beau et brillant donc elle avait accepté le cadeau. Elle fit de brefs adieux à Loganaar et à l’aubergiste et s’en alla en serrant fort contre son cœur le souvenir d’Ikhé qu’elle allait bien vite retrouver.
Un nouveau craquement provoqua une crise de pleurs et de cris terrifiés. Xyla s’était terré la tête sous un tas de feuilles mortes et tentait de chanter pour se rassurer mais ne sortaient que des bredouillements aigus. La pluie se mit à tomber. Xyla fut saisie par les premières grosses gouttes qui virent la frapper. Elle courut en se dirigeant tant bien que mal dans la nuit noire et trouva un endroit sec sous un arbre surélevé qui étendait ses racines telle une main qui se servait une grosse poignée de terre. Elle se pelotonna contre la plus grosse racine, se boucha les oreilles et ferma les yeux. Elle fredonna des chansons pour se rassurer jusqu’à l’aube.

Lorsque le soleil perça la brume épaisse laissée par la pluie, Xyla se sentit légèrement rassurée en percevant la chaleur sur ses paupières gardées fermées. Elle enleva ses mains de ses oreilles et entendit le gazouillement matinal des oiseaux, ce qui lui fit immédiatement ouvrir les yeux et sourire de soulagement. Le monstre était parti !
Elle s’empressa de sortir de sa cachette pour savourer pleinement cet instant de sérénité. Elle regarda autour d’elle la nature qui était encore couverte de larmes de pluie et ria aux éclats. Elle se sentit soulagée de n’avoir pas été la seule à pleurer et à avoir eu peur, à en voir l’état des plantes, des arbres et de tout ce qui l’entourait.
Avec le calme vint la faim et Xyla se mit en quête de nourriture. Elle n’avait aucune idée de ce qui était comestible. Aussi essaya-t-elle une écorce qu’elle recracha aussitôt. Elle s’aventura à goûter de petites baies rouges qui lui parurent assez bonnes et sucrées. En continuant à chercher de quoi manger, elle s’enfonça dans la forêt. Ce ne fut qu’après avoir terminé un petit champignon translucide et fondant, cueilli à l’entrée d’une grotte, que Xyla se rendit compte qu’elle se trouvait au pays des ours volants et des doudous magiques ! Un petit écureuil vint lui chanter une chanson et elle se mit à danser avec un oiseau jaune vif à pois de couleurs et aux yeux clignotants. Après quoi, elle courut après son doudou qui était devenu gigantesque et la distançait bien trop vite. En se trouvant devant un ravin, elle se mit dans l’idée de s’envoler. Elle se prépara, prit de la vitesse, déploya ses bras et … s’étala méchamment au fond de la ravine, parmi des limons terrifiants ! Revenue à la réalité, elle écarquilla les yeux en voyant pour la première fois ces créatures à l’aspect visqueux et répugnant. On pouvait apercevoir par transparence, un crâne au niveau de la tête des monstres. Ils émettaient un bruit de bave bouillonnante, bave qu’ils répandaient sur leur passage d’ailleurs. Xyla voulut hurler mais elle resta pétrifiée. Son instinct lui dit de courir mais dans sa chute, elle s’était tordu une patte, ce qui l’immobilisait. En voyant le groupe de limons gluants se refermer sur elle, elle souhaita en silence qu’Ikhé vienne la sauver. Ce ne fut pas Ikhé qui arriva à son secours mais un grand éclair lumineux, suivi par des cris de hargne. Un premier monstre explosa sous le choc, répandant sur Xyla son contenu visqueux auquel elle ajouta une flaque de lait. Le premier limon détruit, elle aperçut l’ange qui était venu la sauver et qui continuait de se battre avec détermination contre les autres limons. Xyla en oublia la bave verte qui la recouvrait et sourit en observant son ange.

* * *

Depuis son départ de Lune d’Argent, tout s’était passé au mieux pour Lavinis. Tout, ou presque… Cela faisait à présent deux jours qu’elle avait sauvé une taurène tombée dans une fosse à limons et la petite la prenait pour sa déesse – ce qui n’allait pas sans plaire à Lavinis – mais avait une manière agaçante de la coller, de l’imiter, de se vouer entièrement à elle, faisant fuir depuis deux jours les proies de Lavinis par son pas lourd et ses chansons intempestives.
-          Ecoute, tenta-t-elle d’expliquer à la taurène pour la dixième fois, c’est très gentil de rester près de moi mais je t’ai sauvée, je ne te demande rien et on n’en parle plus, d’accord ? On aura qu’à dire que je passais par là et que je devais justement tuer des limons !
-          justement tuer des limons ! répéta la taurène sur un ton rocailleux et avec un fort accent.
Lavinis soupira longuement, soupir prolongé par celui de la taurène qui tentait d’adopter la même posture agacée.

La taurène suivit ainsi Lavinis sans relâche, tel un chien fidèle. De temps à autre, Lavinis tentait de lui expliquer à nouveau qu’elle préférait rester seule.
-          Du vent ! Je n’ai pas besoin de toi. Tu déranges ma personne…
-          déranges ma personne, répondit bêtement la taurène.

Les résultats n’étaient guère plus concluants les uns que les autres. Cette taurène semblait définitivement ne pas comprendre l’Orc.
Lavinis conservait malgré tout son calme et elle finit par réussir à ignorer la taurène mais les animaux qu’elle désirait chasser ne l’ignoraient pas, eux. Aussi se résigna-t-elle à aller dépenser ses pièces d’or durement gagnées en allant manger à l’auberge. En fin d’après-midi, Lavinis – toujours suivie de très près par cette taurène – arriva à un petit village calme situé à l’orée d’un bois. Seules quatre ou cinq maisons formaient le modeste village. Une habitation en retrait – probablement l’auberge – dominait les autres maisons en les surveillant de ses grandes fenêtres éclairées. A l’entrée se trouvait une écurie qui ne contenait que deux maigres chevaux. En s’avançant le long du petit sentier qui menait à l’auberge, Lavinis longeait les rares maisons qui étaient dans un piteux état mais semblaient habitées, à en croire la fumée qui s’échappait des cheminées. Un volet se referma sur le passage de l’elfe et de son ombre taurène.
-          Les gens n’ont pas l’air accueillant dans le coin, murmura-t-elle pour elle-même.
« … dans le coin », entendit-elle en écho à sa phrase.
Elle arriva finalement à l’auberge et y entra sans hésiter. Personne ne refuserait la présence d’une elfe de sang de Lune d’Argent ! En revanche – elle se retourna sur la taurène qui la suivait toujours – ce n’est pas sûr qu’ils accepteraient un tel énergumène…
-          Sombresoir, salua l’aubergiste sur un ton irrité mais qui paraissait être chaleureux pour elle-même.
L’aubergiste avait le teint affreusement pâle et le regard froid, presque vide. Ses cheveux bordeaux tombaient platement sur sa tête, recouvrant ses oreilles. D’une main osseuse, elle tenait un petit carnet pour prendre la commande.
-          Bonsoir, je voudrais un repas et une chambre, annonça Lavinis.
-          Un seul repas ? demanda l’aubergiste en se penchant sur la taurène.
-          Juste un repas, elle … elle a déjà mangé.
L’aubergiste s’éloigna d’un pas traînant. Lavinis alla s’assoir dans un coin, suivie par la taurène qui s’assit en face d’elle en faisant craquer le bois du tabouret qui souffrait sous son poids.
Le repas fut servi et Lavinis s’empressa de manger, toujours dans la bienséance qu’il se doit. Les manières ne s’oublient pas ! Après plusieurs minutes, elle redressa le regard et constata que la taurène imitait tous ses gestes, amenant une fourchette inexistante de son assiette inventée à sa bouche et se régalant du fumet de la nourriture invisible. Lavinis resta stupéfaite de l’optimisme inchangé de cette taurène.
Le repas fini, elle monta dans sa chambre. L’aubergiste les observait tandis qu’elles montaient les marches menant à l’étage de l’auberge. Lavinis ne voulut pas que quiconque puisse avoir des préjugé sur elle, si elle laissait dormir la taurène dehors. Elle l’invita donc à venir dormir dans sa chambre.
-          Voilà, tu dors ici et tu ne bouges pas ! dit Lavinis d’un ton autoritaire après avoir déposé une paillasse crasseuse par terre.
-          ne bouges pas ! répéta la taurène.
Lavinis passa une main désespérée sur son visage mais fut agréablement surprise de voir que la taurène s’était exécutée malgré tout. Elle s’était pelotonnée sur la paillasse et fermait déjà les yeux. Comprenait-elle l’Orc, en fin de compte ? Elle alla elle-même se coucher, satisfaite de son autorité.

Les nombreux repas pris dans les auberges finirent par épuiser les réserves de Lavinis. Elle essaya donc d’adopter la nourriture cueillie sur les buissons et dans les arbres, de ronger les racines et de pêcher quelques rares poissons peu farouches.
Un matin, alors qu’elle taillait nerveusement une branche pour occuper ses mains, elle entendit un pas feutré au loin. Elle releva la tête, aux aguets. Sa première inquiétude fut de savoir si la taurène était à côté d’elle et à son soulagement, elle était partie depuis une heure et ne semblait pas revenir. Lavinis se cacha derrière un arbre pour observer l’arrivant. Il s’agissait d’un troll qu’elle reconnut immédiatement car sa tête était mise à un très haut prix dans la plupart des villes. Le troll avait l’air d’avoir une quarantaine d’année et suffisamment d’expériences pour ne pas se laisser tuer par le premier venu. Lavinis réfléchit à toute vitesse comment mener à bien sa quête et surtout se remplir à nouveau les poches avec la récompense. Elle se pencha discrètement pour observer à nouveau le troll qui s’avançait dans sa direction. Elle attendrait qu’il soit à son niveau pour l’isoler. Le temps que ses acolytes s’en rendent compte, il serait déjà mort et Lavinis n’aurait plus qu’à fuir avec une preuve ; une main, un pied, sa tête même pour être sure !
Le moment propice arriva … et la taurène aussi, avec un martellement terrible et des cris de joie en montrant quelque chose qu’elle tenait dans la main. Ce vacarme attira instantanément l’attention du troll et de ses acolytes qui lui foncèrent dessus et la taurène se recroquevilla au lieu de s’enfuir. En un éclair, Lavinis fonça sur les trois trolls. Elle fracassa le crâne du premier acolyte qui s’écroula à terre. Malheureusement, son mouvement créa une ouverture pour le second qui lui blessa le bras droit avec sa dague. Lavinis hurla de douleur et de rage et tenta de ramener sa masse sur le deuxième acolyte mais son bras affaiblit ne parvint pas à soutenir le poids de son arme qui termina sa trajectoire dans les genoux de sa cible. Ce dernier s’effondra en maugréant. Lavinis se retourna horrifiée vers le chef qui avait invoqué des totems et des éclairs qu’il faisait tourner autour de lui. Il en lança un premier en direction de Lavinis qui esquiva habilement le coup en se jetant à terre. L’éclair finit sa course sur le second acolyte qui venait de se relever péniblement et s’effondra pour de bon cette fois. Lavinis en avait profité pour récupérer sa masse qu’elle tentait de maîtriser au mieux malgré sa blessure. Le troll ne lui laissa pas le temps d’agir et lui envoya un second éclair. Lavinis leva sa masse devant elle pour se protéger et dans un bruit fracassant, son arme se brisa en morceaux. Elle sentit la peur la gagner. Mais en voyant son arme répandue en miettes à terre, sa colère grimpa et elle se rua sur le troll, dans un geste désespéré. Elle frappa de toute sa puissance sur le long nez du troll, ce qui le désorienta. Elle en profita alors pour arracher un totem du sol et l’utiliser comme objet contondant pour l’assommer.
Le troll vascilla et tomba au sol. Lavinis en oublia la raison pour laquelle elle s’était retrouvée dans cette situation et son bras lui fit à nouveau affreusement mal. Elle s’éloigna en titubant, contrecoup de toute cette agitation et de la montée d’adrénaline qu’elle avait provoqué.
Lavinis sentit soudain une main sur son épaule et se retourna violemment, à nouveau sur ses gardes. C’était la taurène qu’elle avait complètement oubliée. Elle lui tendait l’objet qui avait provoqué ses cris de joie et avait attiré les trolls. En reconsidérant la situation ; son bras blessé, sa masse brisée, son sang ne fit qu’un tour et elle explosa de colère sur la taurène.
-          SOMBRE IDIOTE ! Comment peut-on être aussi stupide ? Même les rats de Quel’Thalas ont une cervelle plus grosse que la tienne ! Déguerpis avant que je n’ai envie de manger de la viande de tauren !
La taurène regarda Lavinis et son visage d’habitude si souriant se décomposa. Sa bouche commença à trembler et ses yeux devinrent humides. D’un coup sec, elle se retourna et courra aussi vite qu’elle put pour s’enfoncer dans les bois, laissant par terre l’objet qu’elle avait apporté à Lavinis. Au loin, on n’entendait plus que ses mugissements déchirants.
Lavinis se sentit soudain mal à l’aise. Son estomac se noua, lui donnant l’impression qu’elle avait avalé une grosse pierre. Elle ramassa l’objet laissé par terre. Apparemment, la taurène l’avait fabriqué elle-même pour l’offrir à Lavinis. Il s’agissait d’un petit bonhomme fait de bout de bois, et de feuilles. Son visage avait été tracé au crayon bleu et il souriait gentiment à Lavinis, ce qui accrut son malaise.
Prise de remords, elle courut dans la direction de la taurène, en espérant la retrouver au plus vite. Les mouvements saccadés augmentaient la douleur de sa blessure, qu’elle tenta d’apaiser par une pression faite avec l’autre main. Lavinis voulut crier après la taurène mais se rendit compte qu’elle ne connaissait même pas son nom. Elle se mordit la lèvre inférieure en imaginant ce qui aurait déjà pu lui arriver.
Puis elle entendit un petit sanglot venant d’un buisson. Elle s’approcha doucement et reconnut la crinière épaisse de la taurène qui se mêlait au feuillage.
-          Petite taurène ? essaya-t-elle timidement car c’était tout ce qui lui vint à l’esprit.
La taurène se retourna et sécha ses larmes en voyant Lavinis. Elle se releva et lui tendit un autre cadeau qu’elle venait de terminer. Avec un pincement au cœur, Lavinis reconnut l’imitation grossière de son ancienne masse, bricolée avec une grosse pierre, un bâton et du crin.
-          Merci, dit-elle émue en acceptant le présent.
La taurène sourit et resta cette fois silencieuse.
-          Tu comprends quand je te parle ? demanda Lavinis.
La taurène hocha lentement de la tête.
-          Comment t’appelles-tu ? s’empressa alors de demander Lavinis.
La taurène considéra sa question, sembla réfléchir, et puis répondit « Xyla » en gardant un regard soutenu et plein de questions envers Lavinis qui répondit rapidement « Moi, c’est Lavinis ».

Elles se sourirent mutuellement. Xyla était contente de connaître le nom de son ange et Lavinis se dit qu’elles pourraient essayer de continuer la route ensemble, sure que Xyla ne la trahirait jamais tant elle semblait lui être dévouée.