16/09/2010

Shattrath

Shattrath


Il leur avait fallu trois jours pour atteindre Terokkar et sa fameuse capitale, nommée Shattrath. En temps normal, ils n’auraient pas dû mettre plus d’une demi-journée mais Xyla avait tellement ralenti le rythme qu’ils arrivèrent épuisés dans la grande ville. Deux gardes, chevauchant chacun un énorme elekk gris, les escortèrent. Lavinis, Xyla et Malevih durent se presser les uns contre les autres, tant les imposantes montures laissaient peu de place sur le chemin qui menait au centre de Shattrath. Ils débouchèrent enfin sur la place centrale ornée d’une douce lueur. Devant eux se dressait un être fait de lumière pure et qui élevait son éclat infiniment haut, par une cheminée ouverte dans le toit de la place. La créature flottait dans les airs, dans un équilibre harmonieux. Dans un mouvement lent, l’être se tourna vers les nouveaux visiteurs dont il venait de sentir la présence. Son regard de lumière se posa sur eux trois et tout se figea autour d’eux, comme si le temps s’était arrêté. Dans leur tête, un chant paisible raisonna.
« Je suis A’dal, soyez les bienvenus à Shattrath ».

* * *

La grande capitale de l’Outreterre leur fut présentée par une créature impalpable, ressemblant à un marcheur du vide rosé. Il leur fit faire le tour de la ville, en leur donnant des explications historiques que ni Xyla, ni Malevih, ni même Lavinis n’écoutèrent. Ils étaient bien trop préoccupés par leur rencontre avec A’dal. Car l’être de lumière ne s’était pas contenté de leur parler dans leur esprit ; il y avait également lu leur passé. Xyla et Lavinis s’étaient lancées toutes deux dans une discussion passionnée sur ce que leur avait dit A’dal. En elles deux, il avait vu la grandeur des grands Maîtres, la force de l’amitié et le courage. Xyla ne cessait de parler de son avenir en tant que maître guérisseur et Lavinis n’avait plus qu’en tête la gloire qu’allait très probablement lui apporter l’Outreterre. Seul Malevih restait silencieux et traînait la patte. Il n’écoutait pas non plus les explications de leur guide. A vrai dire, il était ressorti assez livide de son entrevue avec A’dal et n’avait plus rien dit depuis ce moment-là.
Ils arrivèrent enfin à la fin de la visite où le guide acheva en leur annonçant qu’ils pouvaient choisir d’aller dormir chez les Clairvoyants ou à l’Aldor, cette nuit.
N’ayant aucune idée de ce que Clairvoyant ou Aldor pouvait vouloir dire, ils se rendirent à l’ascenseur le plus proche. Lorsqu’ils furent arrivés au sommet du surplomb où se situait les Clairvoyants, Lavinis se raidit.
-          On fait demi-tour et on va dormir chez les autres machinchoses !
-          Mais enfin, Lavinis, qu’est-ce que tu as ? demanda Xyla.
-          Tu ne remarques rien, ici ?
-          Si, c’est très joli et il y a plein de gens comme toi !
-          Justement ! hurla-t-elle, excédée. Je ne me mêlerai pas à ce peuple prétentieux.
L’Aldor se situait à l’autre bout de Shattrath, également en surplomb sur la ville. Ils empruntèrent à nouveau un ascenseur mais à peine furent ils arrivés au sommet, que deux gardes draeneïs leur barrèrent la route.
-          Vous n’êtes pas les bienvenus ici !
-          Mais, on nous a dit qu’on pouvait venir ici ou là, tenta d’expliquer nébuleusement Xyla.
-          Je regrette mais vous avez pénétré chez les Clairvoyants. Cela fait de vous des ennemis de l’Aldor. Sortez !
 Voyant que les gardes ne semblaient pas d’humeur à négocier, ils descendirent aussitôt.
-          Bien… Où va-t-on à présent ? lança Xyla.
-          Il reste la partie basse de la ville qu’on a visitée un peu plus tôt…

Avant de se trouver un coin pour passer la nuit, ils passèrent par une taverne pour se ravitailler.
-          Taverne de la fin du monde… Plutôt charmant comme nom ! ironisa Lavinis en lisant la pancarte suspendue au-dessus de l’entrée.
-          Moi je trouve ça plutôt chouette, il y a plein de monde à l’intérieur, on pourrait se faire des amis ! répondit Xyla avec enthousiasme.
-          Ton optimisme m’étonnera toujours…
Ils s’installèrent à la dernière table libre, dans un coin de la taverne. La serveuse, une elfe de sang vêtue très légèrement, s’avança vers eux.
-          Bonsoir, que puis-je pour vous ?
-          Un verre d’hydromel, lança Lavinis en évitant de croiser le regard de la serveuse.
-          Un verre de lait ! annonça joyeusement Xyla.
-          Et pour monsieur ?
Malevih sortit de ses pensées. Il avait suivi machinalement Xyla et Lavinis et se rendit compte à l’instant de l’endroit dans lequel ils avaient atterri. Voyant que la serveuse commençait à s’impatienter, il commanda rapidement une bière brune naine.
-          Que fait-on ici ? s’informa-t-il dès que la serveuse se fut éloignée.
-          M’enfin, Malevih, tu as été piqué par une mouche taurènivore ou quoi ?
-          Tu es bien silencieux depuis que nous sommes arrivés à Shattrath, rétorqua Lavinis, une once de suspicion dans la voix.
-          Hum ? Oui, oui, des mouches taurènivores… lança-t-il pour toute réponse, avant de se replonger dans ses pensées.
Lavinis et Xyla se regardèrent en haussant les épaules. La serveuse leur apporta leur boisson et Lavinis lui offrit généreusement trois pièces d’or.
-          Ah, il était temps que je lui donne un peu de lait !
-          A qui ?
-          A mon bébé, quelle question !
Xyla sortit de son sac un bel œuf de la taille d’une tête. Il était blanc et parsemé de taches jaunes.
-          Quoi, tu traînes encore cet œuf depuis Féralas ? s’exclama Lavinis.
Le bruit dans la taverne s’atténua soudain et les regards se tournèrent vers leur table. Quelques murmures s’échangèrent, suivis de sourires satisfaits, puis le brouhaha reprit le dessus.
-          Je crois qu’on ne devrait pas s’éterniser ici, dit Lavinis.

Après avoir sillonné la Ville Basse, ils se trouvèrent enfin un endroit agréable et pas trop agité pour dormir. Posant leurs lourds sacs à terre, ils s’allongèrent à leur tour pour se reposer. Malevih, qui n’avait toujours rien ajouté depuis la taverne, se posa un peu à l’écart. La nuit était déjà bien entamée et il pouvait apercevoir Lavinis et Xyla discuter, à la lueur d’un feu de camp. Les flammes grandissaient leurs ombres, les envoyant sur le tauren gardé à l’écart, comme une menace silencieuse. Malevih frissonna et ramena ses genoux contre son torse. Il finit par s’endormir et se laissa engloutir par la noirceur de la nuit et de la ville.

Ce furent les cris hystériques de Lavinis qui réveillèrent Malevih, à l’aube. En émergeant de son sommeil, il tentait de comprendre le flot de paroles et d’injures que vomissait l’elfe de sang.
-          Tu te rends compte, Xyla ? Ils nous ont tout pris ! Et je n’ai rien vu venir ! Ils ont dû m’hypnotiser, je ne vois pas d’autre explication, je les aurais entendus sinon !
Lavinis serra vigoureusement les mèches de cheveux qui lui tombaient devant les yeux pour les tirer, dans un accès de rage.
-          Mais enfin, que se passe-t-il ? tenta de s’informer Malevih.
-          Il se trouve que nous avons été volés cette nuit ! On nous a tout pris !
Malevih sentit son estomac se nouer en se retournant vers son sac à dos qui l’avait apparemment déserté pendant la nuit.
-          C’est pas vrai ! Toutes mes affaires … disparues !
-          C’est bon, les miennes aussi et même mon arme !
-          Oui mais moi, j’ai eu un mal fou à voler ces affaires ! Ce n’est pas pour qu’on me les vole à nouveau !
A ces mots, Lavinis se retourna vers Malevih et le dévisagea.
-          Euh, je voulais dire… j’ai eu un mal fou à … récolter ces affaires…
-          Moi, on ne m’a rien volé en tout cas, annonça fièrement Xyla. J’ai mon crayon bleu, ma crinière, mon bracelet… ah oui, et ma plume !
Tandis qu’elle faisait ses énumérations, Xyla montrait un à un ses biens précieux. Le bracelet attira soudain l’attention de Malevih.
-          Où as-tu eu ce bijou, demanda-t-il sèchement.
-          Nulle part ! Je l’ai toujours eu ! répondit Xyla en ramenant son bras contre sa poitrine, dans un geste de méfiance.
-          Tu l’as trouvé quelque part ?
-          Non, je l’ai toujours eu, je te dis !
Malevih observa un instant ledit bijou. Il s’agissait d’un bracelet argenté, gravé d’un sceau en son centre qui représentait un triangle sur sa pointe, traversé d’une barre verticale. Etrangement, c’était le symbole qui semblait retenir l’attention de Malevih et le troubler grandement. La respiration du tauren se fit haletante et il s’éloigna de Xyla et Lavinis pour s’asseoir dans un coin ombragé.
« Ce n’est pas possible … », murmura-t-il pour lui-même.

* * *

La journée avançait, tandis que Lavinis cherchait activement une solution à leur problème. Elle tournait en rond, amenant toutes les cinq secondes de l’ombre à Xyla qui était étalée de tout son long sur le dos, les bras ouverts vers le ciel.
-          Tu as vu celui-là ? Il ressemble à un trotteur-wyverne ! dit-elle en montrant un nuage.
-          Aide-moi à trouver une solution, au lieu de rêvasser ! Et Malevih, il est passé où encore, ce crétin ?
Lavinis s’éloigna pour chercher le tauren, laissant Xyla toute seule. Lorsqu’elle revint avec Malevih, Xyla était en train de dessiner en chantonnant. Son dessin achevé, elle se releva et plaça son œuvre sous le nez de son amie.
-          Tu as vu comme j’ai bien fait ça ? C’est moi, sur le dessin ! gloussa-t-elle.
-          C’est quoi ça ?
-          C’est le soleil !
-          Non, ce qu’il y a d’écrit sur la feuille.
-          C’est mon nom : XYLA.
-          Mais non !
Lavinis arracha la feuille des mains de Xyla pour mieux l’examiner, à travers les gribouillages bleus.

«  Recherche de valeureux combattants pour se mesurer aux terribles épreuves de l’arène de sang, en Nagrand. Venez nombreux, fortes récompenses pour les vainqueurs ! »

-          Mais oui, voilà notre porte de sortie ! hurla Lavinis.
-          On va vendre mon dessin et faire fortune ?
-          Non, regarde sur quoi tu as dessiné.
-          Sur une feuille de papier.
Lavinis inspira profondément. Heureusement que cette bonne nouvelle l’aidait à garder son calme. Elle cria après Malevih, pour que ce dernier s’approche.
-          Toi, tu dois voir de quoi je veux parler, regarde !
Lavinis tendit la feuille à Malevih, qui tenta de déchiffrer tant bien que mal l’annonce qui y était indiquée.
-          Bof, je ne vois pas pourquoi j’irais risquer ma peau pour quelques pièces d’or, dit-il avec sa mollesse habituelle.
-          Ah non ? Et tu comptes le payer avec le lait de Xyla, ton maître druide ?
Malevih ronchonna.
-          Très bien, je vous accompagne ! Mais ne comptez pas sur moi pour ramasser les blessés !
-          Ne compte pas sur nous pour ramasser tes restes, murmura Lavinis en roulant l’annonce qu’elle coinça dans sa ceinture. En route, nous n’avons pas une minute à perdre !
Xyla, qui s’était recouchée en attendant, se releva en marmonnant. Elle fit quelques pas pour suivre Lavinis quand soudain, quelque chose la chiffonna.
-          Il me manque quelque chose, dit-elle.
-          Oui, à nous tous… On est presque nus ! siffla Lavinis.
-          Non, autre chose...
Xyla tourna sur elle-même plusieurs fois, comme une bête perdue. Elle tenait sa queue entre ses mains et la tordait nerveusement, comme un bout de tissu. Finalement, elle releva les yeux remplis de larmes vers Lavinis.
-          On a volé mon œuf !
-          Qu’est-ce que tu veux qu’ils fassent d’un œuf, à part une omelette ?
Xyla s’approcha de Lavinis, en chancelant. Elle agrippa avec force l’elfe de sang aux épaules et la secoua dans tous les sens en hurlant.
-          On m’a volé mon œuf !
Malevih essaya de séparer Xyla de Lavinis mais la taurène avait refermé fermement ses mains et ses ongles rentraient dans la chaire de l’elfe de sang qui commençait à suer à grosses gouttes.
-          MON ŒUF ! AU VOLEUR !
-          Xyla, calme-toi, s’il te plaît !
Malevih tentait de raisonner Xyla comme il pouvait mais il n’avait jamais eu affaire à un déchaînement pareil.
La druidesse lâcha finalement Lavins qui s’écroula à terre dans un bruit sourd. Elle émettait à présent quelques faibles sanglots et restait debout, le visage caché par sa crinière qui s’était défaite. Malevih s’approcha doucement.
-          Xyla, des œufs, il y en a plein partout. On en trouvera d’autres. Viens, maintenant.
Mais à peine eut-il fait un pas en avant que le sol se mit à gronder sous ses sabots. Les dalles qui recouvraient le sol de la Ville Basse vibrèrent et se disloquèrent. D’épaisses ronces jaillirent soudain des interstices puis des dalles-même qui se brisaient sous la force de la Nature qui se déchaînait.
Malevih attrapa Lavinis et courut aussi vite que possible, dans la direction opposée à Xyla.
-          Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda Lavinis, encore sous le choc.
-          Pas bon à savoir, faut foutre le camp, c’est tout ! dit Malevih, hors d’haleine.
Ils s’éloignèrent tant que possible, jusqu’à ce qu’ils ne sentirent plus de vibrations sous leurs pieds. Des cris raisonnaient en écho dans la Ville Basse et les réfugiés fourmillaient, paniqués. Du surplomb central de la ville, on pouvait voir l’origine du désastre ; une immense plante aux épines acérées, grossissait au rythme d’une respiration nerveuse. Des flots de lumière verte jaillissaient de temps à autres de la plante mutante.
-          Si on la laisse faire, elle pourrait détruire la ville ! dit Lavinis avec angoisse.
-          Je vais y aller, j’ai une idée. Si ça ne marche pas, on est foutu.
-          Tu as l’art d’annoncer les choses mais je viens avec toi !
-          Comme tu voudras.
Malevih redescendit dans la Ville Basse, suivi de loin par Lavinis. Il s’avança au plus près de la plante épineuse et inspira profondément. La plupart des réfugiés de la Ville Basse avaient déserté les lieux et le silence faisait place, peu à peu. Malevih agrippa une des lianes de la plante et murmura quelque chose. Puis, dans le calme de la ville, s’éleva un chant dans une langue douce et harmonieuse. Les mots glissaient les uns sur les autres et le vent amplifia la voix de Malevih, pour la faire parvenir au cœur de la douleur de Xyla. De longues secondes s’écoulèrent et le tauren tâchait de garder son sang froid pour que sa voix ne trahisse pas son stress. Puis il sentit un relâchement dans la liane qu’il serrait. La respiration de la plante se fit plus calme. Il continua son chant. Les épines se rétractaient, la plante recula.
Ils retrouvèrent Xyla au milieu d’un immense cercle de terre retournée, mêlée aux débris de la Ville Basse à cet endroit. La taurène était assise par terre et pleurait à chaudes larmes. Malevih s’approcha d’elle et la serra contre lui en lui chuchotant quelques mots doux.
Lavinis arriva à son tour et posa sa main droite sur l’épaule de son amie, puis s’accroupit pour être à sa hauteur.
Nous sommes là, Xyla. Ne pleure plus.