09/09/2010

Sinival

Sinival


-      On doit se rendre au plus vite à Dalaran ! rétorqua Lavinis.
Le vieux taunka observa Lavinis et Xyla.
-      Vous venez pour vous battre ? demanda-t-il enfin.
-      Oui ! répondit Lavinis avec ardeur, alors que Xyla faisait signe que non.
-      Pour vaincre le mal extérieur, il faut d’abord combattre le mal intérieur, leur dit le vieux taunka. Venez avec moi.
Sous le regard désabusé de Lavinis et Xyla, le vieux taunka leur fit signe de le suivre. Il emprunta un chemin sinueux et étroit, situé à la droite de la passerelle en bois. Après un long quart d’heure de marche, Xyla, Lavinis et le taunka se retrouvèrent au sommet de la montagne, qui était aplani pour offrir une vue prenante sur le Fjord Hurlant d’un côté et Les Grisonnes de l’autre. Mais le plus intriguant était ce petit autel sculpté dans la roche de la montagne et dressé au milieu de la terrasse. Il en émanait une aura bleutée et des chuchotements se faisaient entendre à son approche.
-      Ceci est le Sanctuaire de Givrelame, dit le taunka, en s’approchant de la pierre. L’épreuve qui vous attend sera probablement la plus difficile que n’ayez jamais eue à endurer.
Xyla et Lavinis observaient le taunka, perplexes. Comment une simple pierre pouvait représenter un danger, après tout ce qu’elles avaient déjà traversé ?
-      Il conviendra de prendre contact avec la pierre sacrée du Sanctuaire, continua le taunka. Cette pierre a été taillée par l’Esprit Vent, lui-même. Elle voit en vous les conflits qui vous empêchent d’être en paix et vous offre la possibilité de les affronter.
-      En quoi un simple rocher peut me permettre d’affronter mon conflit ? demanda Lavinis. Enfin, je veux dire mes conflits, bien que je ne pense pas en avoir… tenta-t-elle de rattraper.
-      Touchez juste la pierre, le reste se fera tout seul, expliqua le taunka, en frôlant de la main l’aura bleutée qui enveloppait le Sanctuaire.
Lavinis se tourna vers Xyla. 
-      Bien, je propose que tu commences ! dit-elle en souriant. Je ne vois pas ce qu’il pourrait y avoir de si dangereux à l’intérieur de ma chère Xyla.
-      D’accord ! répondit Xyla sur un ton enjoué.
Xyla s’avança vers le Sanctuaire, tandis que le taunka s’en éloignait, pour regagner le bord de la terrasse, le plus près possible du chemin. Lavinis haussa les épaules, le trouvant ridicule.
Xyla posa une main ferme sur la pierre, dont l’aura bleutée se dissipa immédiatement. La roche était chaude et vibrait doucement, tel un ronronnement. Xyla trouva la sensation agréable et posa son autre main, pour être complètement imprégnée de cette sensation. Le Sanctuaire enveloppa Xyla d’une fumée blanche, qui se densifiait à vue d’œil. Bien vite, cette fumée prit forme et Xyla se retrouva en face d’un ourson tout blanc qui l’observait calmement.
Lavinis fut soulagée de voir que le conflit intérieur de Xyla se résumait à un ourson inoffensif mais en jetant un coup d’œil furtif au vieux taunka, elle se mit à hésiter sur la nature de son soulagement car ce dernier était de moins en moins rassuré.
Lavinis regarda à nouveau l’ourson blanc, qui s’était à présent assis. Xyla s’accroupit et tendit la main pour caresser l’ourson. Il semblait la troubler mais Lavinis ne comprenait pas pourquoi. Mais au moment où Xyla toucha l’ourson, son conflit endormi depuis trop longtemps se réveilla et se mit à grogner.
-      Heuuu, Xyla, fais attention, tout de même, dit Lavinis, en voyant l’ourson grandir rapidement.
-      C’est son combat, vous ne pouvez rien faire, dit le taunka en agrippant le bras de Lavinis, pour l’empêcher d’intervenir.
L’ourson était devenu à présent un ours blanc et il se dressait sur ses pattes arrières, pour menacer Xyla. Malgré le danger qui la menaçait, Xyla ne bougeait pas. Elle restait stoïque, face à elle-même, dans sa forme d’ours. Cet ourson blanc qui était devenu cette bête féroce et menaçante lui reprochait d’avoir délaissé Mulgore, d’avoir oublié ses terres natales, d’avoir assourdi cet instinct animal et sauvage en elle. Mais Xyla ne voulait pas se battre contre elle-même, elle y voyait une trahison de sa propre personne. Ce ne fut que lorsque l’ours abattit sa lourde patte sur elle, qu’elle fut bien obligée de bouger et d’esquiver le coup.
-      Je ne veux pas me battre contre toi, dit Xyla, les larmes aux yeux.
L’ours émit un rugissement terrifiant et fonça sur Xyla qui l’évita de peu.
-      Arrête, je ne te veux pas de mal ! hurla Xyla.
-      Tu dois en finir avec ton conflit, taurène ! cria le taunka.
Le cœur serré, Xyla se transforma en ours, créant la réplique exacte de son conflit. Elle était à présent à force égale pour affronter cette dualité féroce. Les deux ours se lancèrent alors dans une bataille sans merci, échangeant coups de griffes, morsures et rugissements.
Lavinis n’avait jamais eu l’occasion de regarder Xyla se déchaîner de la sorte, bien qu’elle n’arrivait pas à distinguer la vraie Xyla de son conflit. L’un des deux ours prit finalement le dessus, envoyant l’autre se cogner contre la pierre du Sanctuaire.
-      Achève-le, taurène ! cria le taunka à l’attention de Xyla.
Xyla s’approcha de son conflit, qui grognait mais ne se relevait pas. Sentant sa fin proche, l’ours préféra se retransformer en ourson et émettre un cri plaintif. Xyla s’arrêta, ne pouvant plus continuer ce massacre d’elle-même. Elle revoyait ce petit ourson blanc gambader dans les pleines riches de Mulgore et retourner se réfugier dans l’épaisse fourrure de sa mère, à la moindre chose effrayante. A ce souvenir, elle sourit tendrement et reprit son apparence de taurène. Elle tendit la main et caressa l’ourson, qui soupira et ferma les yeux. La fourrure blanche du petit ours devint plus floue et se dissipa en fumée, au pied du Sanctuaire. Le mal était apaisé.

Lavinis se rua sur Xyla, dès que le taunka lui eut lâché le bras. Malgré tout, elle hésita un instant avant de serrer son amie. Elle avait peur que cette bataille ait brisé quelque chose en Xyla mais en voyant le sourire de la taurène, habillée de sa longue veste brune et à la queue garnie de pompon, le doute se dissipa immédiatement.
-      J’ai eu peur pour toi… murmura Lavinis.
Le vieux taunka s’avança vers le Sanctuaire, qui avait reprit son aura bleutée. Il passa une main souple au-dessus de la pierre, qui sembla s’exciter soudainement. L’énergie qui l’enveloppait se densifia et devint plus brillante.
-      Elle vous réclame, elfe de sang, dit le taunka, sur un air songeur.
Lavinis se tourna vers le Sanctuaire et sembla perdre toute émotion, l’espace d’une seconde.
-      Vous êtes certain que c’est nécessaire ? demanda-t-elle.
-      On a tous quelque chose à apaiser en soi, répondit-il en laissant la place à Lavinis.
Le vieux taunka prit Xyla par le bras et alla reprendre sa place, au bord de la terrasse, près du chemin.
-      Allez-y, maintenant ! dit-il à Lavinis.
Lavinis regarda la pierre et hésita. Elle savait très bien ce qui l’attendait au détour de cette introspection et elle le craignait. Elle ne voulait pas que les autres sachent. Elle ne voulait pas prendre le risque non plus de l’affronter.
-      Ce ne sera pas nécessaire, dit-elle en se tournant vers le taunka et Xyla, un sourire forcé sur son visage. Je peux parfaitement gérer mes conflits toute seule !
-      Dans ce cas, je ne vous laisserai pas passer et vous retournerez dans le Fjord Hurlant.
-      Ah non, je dois me rendre à Dalaran ! insista Lavinis.
-      Je m’en moque, moi ! lui rétorqua le taunka.  J’ai pour ordre de faire régner la paix intérieure de toute personne voulant traverser Les Grisonnes.
-      C’est bon, je vais le faire ton truc stupide et après on s’en va !
Lavinis refit face au Sanctuaire, en ronchonnant. Elle posa une main hésitante sur la pierre, dont l’aura bleue se dissipa immédiatement. Le contact était glacial et très désagréable. Lavinis avait l’impression que sa main était collée sur la roche et que des cristaux de glace gagnaient son corps en courant le long de son bras. Elle sentit son épaule se bloquer, comme gelée puis elle sentit le froid pénétrer dans sa poitrine et son souffle se coupa. Une fumée noire et opaque se forma en face d’elle, se condensa et elle vit apparaître ce qu’elle craignait: Sinival.
Xyla regarda l’elfe de sang, aux oreilles tombantes et aux cheveux raides, qui venait de prendre forme en face de Lavinis. Mais ce ne fut pas sur Lavinis que l’elfe de sang se concentra en premier lieu. Elle se tourna vers Xyla et lui lança un regard noir. L’elfe de sang s’accroupit soudain pour poser ses deux mains à terre. Un cercle noir se dessina soudain sur le sol gelé, englobant Lavinis et son conflit. Le regard toujours fixé sur Xyla, l’elfe de sang fit monter un halo d’énergie noire et dense qui enveloppa rapidement les deux dualistes. Xyla vit une dernière fois Lavinis, qui semblait profondément désespérée face au sourire narquois de l’elfe de sang. Elles disparurent ensuite toutes les deux, ensevelies par cette sphère noire.
Le taunka écarquilla les yeux et sentit la peur le gagner. Ce qu’il avait devant lui était loin d’être normal. Il lâcha le bras de Xyla, pour s’avancer vers la sphère. Mais avant qu’il n’ait pu faire le moindre pas, l’énergie qui enveloppait Lavinis et son conflit se déstabilisa, provoquant une puissante explosion qui souffla Xyla et le taunka de la terrasse du Sanctuaire.

Xyla et le taunka atterrirent plusieurs mètres plus bas, dans la neige qui amortit leur chute.
-      Il faut tout de suite interrompre ça ! dit le taunka, en se relevant.
Il semblait paniqué et s’agitait dans tous les sens. Xyla se redressa, encore couverte de neige et le suivit tant bien que mal, sur le chemin escarpé qui montait vers la terrasse. Il leur fallut trois minutes pour arriver au sommet mais c’étaient trois minutes de trop car, assise avec nonchalance sur la pierre sacrée du Sanctuaire, Sinival riait aux éclats, toute seule.

* * *

-      Tu avances toujours aussi lentement, la vache ? hurla Sinival sans se retourner.
-      Lavinis, attends-moi, répondit Xyla, entre deux essoufflements.
-      Lavinis ! Elle est vraiment bête, cette bovine, siffla Sinival entre ses dents.
Sinival avait forcé le trajet et ne s’était pas arrêtée au camp Oneqwah, comme il avait été prévu. Elle marchait de vive allure, sans jamais s’arrêter, traînant derrière elle une Xyla complètement épuisée. La nuit était déjà tombée et il faisait particulièrement noir et froid. Mais ça ne semblait pas poser de problème à Sinival, qui avait ôté la lourde armure paternelle et l’avait balancée dans un ravin, ce qui provoqua chez elle un rire dément. Xyla l’avait observée, avec une pointe d’inquiétude mais avait préféré ne pas s’en mêler.
A force de se concentrer uniquement sur ses pas de plus en plus alourdis, Xyla n’avait pas vu le temps passer et elles avaient déjà entièrement traversé Les Grisonnes. Après avoir marché sur une passerelle en bois, qui semblait surplomber le vide, à l’écho qui vibrait sous les planches, Xyla sentit avec une certaine réticence, ses sabots s’enfoncer à nouveau dans la neige glacée. Elle releva la tête et fut rassurée d’encore percevoir la lueur de la torche que tenait son amie. Elle fixa son regard sur son objectif, pour tâcher de la rattraper au plus vite. Mais à son grand étonnement, la lumière ne semblait plus avancer et elle s’en approchait rapidement. Xyla arriva finalement au lieu dit, pour trouver la torche plantée dans la neige et son amie assise juste à côté, sur une large pierre.
-      Lavinis ! Je croyais qu’on s’était perdue ! dit Xyla avec soulagement.
-      Cesse de m’appeler comme ça ! lui répondit l’elfe de sang, d’une voix glaciale et caverneuse.
-      Comme ça quoi ? … mais, tu saignes !
-      Oui, j’ai glissé sur cette stupide plaque de verglas, répondit sèchement Sinival.
-      Attends, je vais te soigner, répondit Xyla, en fouillant dans le sac de son amie.
-      Laisse, la vache, j’ai pas besoin de ton aide, je me débrouille toujours toute seule.
-      Tu racontes n’importe quoi, Lavinis ! Il faut que tu te reposes, tu sais.
Xyla s’approcha d’elle, les bras remplis d’objets divers qu’elle avait piochés au hasard dans le sac. Mais lorsqu’elle s’assit à côté de celle qu’elle croyait être Lavinis, cette dernière se leva d’un bond, écumante.
-      Tu vas arrêter de me faire chier, sale bête ! hurla Sinival.
Xyla ne comprenait pas. Ce n’était pas du tout le comportement de Lavinis. Quelque chose de mauvais s’était passé au Sanctuaire de Givrelame mais elle ne parvenait pas à l’expliquer.
-      Laisse-moi au moins te soigner…
-      Lâche-moi les bottes !
Sinival envoya un coup de pied dans les mains jointes de Xyla et éparpilla les objets à terre. Sous le choc, Xyla se leva et s’éloigna. Son instinct se réveillait et lui disait qu’il y avait du danger. Elle secoua la tête. Comment était-ce possible qu’elle soit en danger avec Lavinis ?
-      C’est quoi tout ce bordel que t’as pris dans son sac ? dit Sinival en se penchant.
Xyla ne répondit rien et continua à reculer. A la lueur de la torche, elle pouvait voir l’elfe de sang ramasser quelque chose et l’observer un long instant.
Ses longues oreilles affaissées se redressèrent doucement et la glace de son regard sembla fondre.
-      Je n’aurais jamais dû les laisser, je n’aurais jamais dû quitter Lune d’Argent, dit-elle sans lâcher du regard la photo de ses parents qu’elle tenait en main.
Sa voix était redevenue douce et calme et Xyla se tint moins sur la défensive.
-      Lavinis ? osa-t-elle.
L’elfe de sang releva la tête et sourit en voyant Xyla.
-      Qu’est-ce qu’on fait ici en pleine nuit ? demanda Lavinis. C’est une très mauvaise idée !
Xyla sentit le soulagement et la joie l’envahir. Elle avait retrouvé sa vraie Lavinis. Peut-être que c’était le choc du combat ou le changement d’air qui l’avait un peu secouée, après tout ? Mais maintenant, elle était à nouveau elle-même et Xyla se sentait en sécurité à ses côté. 
-      On est obligées de continuer sinon on va geler sur place, dit Xyla en remballant toutes les affaires éparpillées dans la neige.
-      On n’est pas encore au camp Oneqwah ? demanda Lavinis.
-      On l’a dépassé depuis longtemps…
Lavinis secoua la tête.
-      Non, attends ! dit-elle. On est dans les montagnes entre le Fjord Hurlant et Les Grisonnes ! Il y a de la neige partout autour de nous ! Il suffit de continuer vers le nord…
-      On a déjà marché une bonne partie de la nuit et je crois qu’on a entièrement traversé Les Grisonnes, répondit Xyla.
-      Je ne comprends pas, dit Lavinis, déroutée.
-      Xyla soupira et chercha une explication à donner à Lavinis mais rien de vraiment cohérent ne lui vint à l’esprit.
-      Peut-être que tu étais très fatiguée et que tu ne te souviens pas d’avoir tant marché ? essaya-t-elle.
-      Je ne me souviens de rien… dit Lavinis en se massant les tempes.
-      Continuons, reprit Xyla. Il ne faut pas rester ici.
Elles se remirent en marche, du pas le plus rapide qu’elles pouvaient. Mais Xyla comme Lavinis sentaient qu’elles arrivaient au bout de leurs limites physiques et espéraient bientôt trouver un campement pour pouvoir s’abriter le reste de la nuit.
En arrivant au sommet d’une colline enneigée, elles virent avec joie une tour éclairée qui s’élevait au loin. Lavinis sortit sa carte et essaya de se repérer, à la lueur déclinante de leur torche. Xyla s’approcha d’elle et pointa du doigt une région enneigée à l’ouest des Grisonnes.
-      Je crois qu’on est déjà ici, dit-elle.
-      En Désolation des Dragons ? C’est impossible !
-      Fais-moi confiance…
-      Si nous sommes bien là alors, cette tour devant nous est le Temple du Repos du Ver.
-      Oh ! C’est ici que la Reine Dragon vit, non ? dit soudain Xyla, pleine d’enthousiasme.
-      Oui, je crois bien, en effet.
-      On peut aller la voir, s’il te plaît ? supplia Xyla en sautillant sur place.
-      On n’a pas trop le choix, à vrai dire… C’est se rendre là-bas ou mourir de froid.
Réjouie à l’idée de rencontrer la Reine Dragon, Xyla se mit à courir en direction du Temple. Lavinis roula sa carte et tâcha de suivre le rythme, malgré la fatigue. Elle se motiva à l’idée d’un repas bien gras et d’un lit bien chaud.

Elles arrivèrent rapidement au Temple du Repos du Ver, qui était gardé par nombre de dragons. Xyla et Lavinis restèrent sur leurs gardes, en passant la porte, sous le regard méfiant d’un immense dragon rouge se tenant à l’entrée. Elles débouchèrent dans la salle principale qui était gigantesque et s’élevait à perte de vue. Xyla émit un bruit d’admiration, qui résonna en écho dans la salle.
-      Xyla ! Comme je suis heureuse de te revoir ! couina une petite voix.
-      Hein ? dit Xyla en se retournant vers Lavinis qui haussa les épaules et regarda autour d’elle.
Une petite main attrapa le pan de la longue veste de Xyla et la tira de deux coups secs.
-      Ici, ma chère ! dit la petite voix aigüe.
Xyla baissa les yeux et resta stupéfaite devant le petit être qui se tenait fièrement à côté d’elle. Il s’agissait d’une gnome aux cheveux argentés et courts. Elle souriait à Xyla et la regardait comme si elle la connaissait depuis toujours. Xyla ne savait que dire, ouvrit la bouche et la referma plusieurs fois.
-      Ah oui, en fait, c’est peut-être la première fois qu’on se rencontre… dit la gnome. Enfin, que tu me rencontres mais moi, je te connais déjà tellement bien !
-      Vous êtes qui ? finit par demander Xyla, en abaissant sa main pour mesurer la gnome.
-      Chromie, je suis Chromie ! Et je suis vraiment heureuse de te revoir ! Tu ne pouvais pas mieux tomber car j’ai une mission capitale et c’est à toi que je veux la confier car je peux te faire confiance !
Les yeux de Xyla s’emplirent d’étoiles. Elle s’accroupit pour écouter plus attentivement Chromie.
-      J’aimerais que tu ailles faire un tour dans le Sanctuaire Draconique Bronze et que tu me rapportes ce que tu y auras rencontré. Ce n’est pas sans danger, bien sûr mais j’ai pensé à tout !
Chromie fouilla un énorme sac qu’elle traînait derrière elle et en ressortit un sablier de cristal orné de feuilles d’or. Les grains qui s’écoulaient à l’intérieur brillaient comme des diamants et émettaient un son lointain de cascade.
-      C’est un Sablier Temporel, tu te souviens ? dit Chromie avant de se frapper le front. Suis-je bête, tu ne l’as encore jamais utilisé pour le moment… Je suis un peu perdue dans les époques, moi.
-      Ca sert à quoi, ce Sablier ? demanda Xyla, qui buvait les paroles de Chromie.
-      Ca te sera très utile, crois-moi ! Alors, tu acceptes la mission ?
Xyla se releva et considéra l’offre. Elle était absolument émerveillée par cette petite personne, ses histoires et son Sablier.
-      D’accord mais Lavinis vient avec moi ! répondit Xyla, sur un ton enjoué.
-      Lav… Lavinis ? reprit Chromie en se tournant sur l’elfe de sang.
Lavinis s’inclina gracieusement face à la gnome, dont le visage s’était durcit à sa vue. Chromie semblait songeuse et emprunte à un dilemme. Elle jonglait entre ses pensées et ses regards noirs lancés à Lavinis. Elle mordit ses lèvres puis ouvrit la bouche.
-      Ce sera mieux pour tout le monde, murmura-t-elle.
-      Pardon ? demanda Lavinis.
-      Tu peux accompagner Xyla mais je ne te donne pas de Sablier ! Pas à toi.
-      Pourquoi pas ? s’offusqua Lavinis.
-      Parce que ce sera mieux pour l’avenir ! répondit Chromie avant de s’éloigner d’un pas stressé.
-      Vraiment bizarre, cette gnome ! ronchonna Lavinis.
-      Moi, je la trouve super ! dit Xyla, en serrant son Sablier contre elle.


* * *

Xyla et Lavinis s’installèrent discrètement dans un coin de l’immense salle du Temple et s’endormirent immédiatement. Xyla serrait amoureusement son Sablier et Lavinis était emprunte à un sommeil agité. Elle se tournait sans cesse, entre des phases de spasmes et de respirations saccadées. Elle ouvrit soudain les yeux et se calma ; son corps se détendit et ses oreilles s’affaissèrent, dans un soupir profond. Un large rictus se dessina alors sur son visage. Elle se redressa et regarda autour d’elle. A cette heure très avancée de la nuit, il n’y avait que les dragons pour veiller sur le Temple. Qui aurait pu la distinguer ? Qui aurait pu la reconnaître ? Seule cette satanée gnome de Chromie, sans doute. Elle fit craquer ses doigts un à un, se releva silencieusement et s’enfonça dans l’obscurité qui embrassait le Temple mal éclairé.

* * *

-      Lavinis, réveille-toi !
-      Mrlghrlghlgh…
-      Tu imites parfaitement le murloc !
-      Dormir encore … fatiguée … grrr !
Lavinis se retourna dans sa couche et roula sur un objet solide qui s’enfonça dans son flanc.
-      C’est quoi ça ? dit-elle en relevant ses draps.
Un Sablier Temporel avait atterri dans son lit, avec un petit mot anonyme, collé dessus « Tu en auras besoin et moi aussi ! ».
-      Le Grand-Père Hiver est passé ! chantonna Xyla, en se penchant sur Lavinis. Mais tu devrais t’habiller, tu es folle de dormir toute nue par un froid pareil !
Lavinis vit avec effroi qu’elle n’était en effet équipée que de sa couverture et que ses vêtements gisaient lamentablement en boule à quelques mètres de sa couche.
-      Mais, je me suis endormie habillée ! dit-elle.
-      C’est peut-être le Grand-Père Hiver… dit Xyla, entre deux gloussements.
Lavinis rampa jusqu’à ses vêtements et s’empressa de les enfiler.
-      Tiens, je ne me rappelais pas que j’avais fait des tâches sur mon blouson…
-      On dirait du sang, ajouta Xyla en inspectant de plus près le blouson de Lavinis.
-      Ne sois pas idiote !
Xyla haussa les épaules et retourna à sa couche pour rouler sa couverture et emballer ses affaires. Lavinis posa une nouvelle fois son regard sur le magnifique Sablier qu’on lui avait finalement offert. Pour la première fois depuis leur départ de Lune d’Argent, elle sentit la confiance fuser doucement dans son esprit.

Xyla et Lavinis se mirent rapidement en marche vers le Sanctuaire Draconique Bronze. Elles avaient hâte de remplir une mission de si haute importance. Lavinis avait le cœur léger et en avait presque oublié pourquoi elle devait se rendre à Dalaran. Elle caressait doucement les feuilles d’or qui parcouraient le cristal du Sablier.
-      Je me demande comment ça marche ! demanda-t-elle à voix forte, pour couvrir le bruit du vent qui hurlait ce matin-là.
-      Aucune idée…, répondit Xyla, en refermant un peu plus le col de sa veste. On verra sur place !
Elles arrivèrent finalement à un cratère rempli de sable, qui brillait autant que le sable des Sabliers. Ca et là gisaient des immenses squelettes de dragons, à moitié ensevelis.
-      C’est étrange qu’il n’y ait pas de neige, ici, remarqua Xyla.
-      En effet…
-      Tu crois qu’on doit aller au centre du cratère ?
Lavinis considéra la question et observa largement les lieux.
-      Ca ne semble pas trop dangereux… Allons-y !
Elles avancèrent de plusieurs dizaines de mètres, jusqu’au squelette d’une aile de dragon qui dépassait du sol.
Impatiente, Xyla posa son Sablier à terre.
-      Ici, ça devrait faire l’affaire, je pense.
Lavinis l’imita et s’écarta de l’objet précieux.
Ce fut le Sablier de Xyla qui réagit en premier. Aussi étrange que l’objet ou la gnome qui l’avait donné, le sable à l’intérieur se mit à couler à l’envers, contre la gravité, pour remplir entièrement la partie supérieure du Sablier. Le sable resta ensuite un instant comme ça, défiant les lois universelles, puis s’effondra à une vitesse folle dans le compartiment inférieur. Le Sablier se mit à briller et une silhouette claire se dessina à côté et s’intensifia au fur et à mesure que le sable s’écoulait. Au dernier grain, Xyla écarquilla les yeux car elle avait en face d’elle un arbre qui remuait branches et racines et il lui semblait même qu’il lui souriait.
-      Aaaah ! On se retrouve enfin ! dit l’arbre à l’attention de Xyla. Je me demandais quand j’aurais le plaisir de revivre cette scène de l’autre côté !
Xyla ouvrit la bouche, la referma, serra les lèvres et remua la tête. Cette voix lui était beaucoup trop familière.
-      C’est … c’est toi ?
-      Moi, tu veux dire ! ria l’arbre.
-      Je suis moi … non … tu es moi ?
-      Dans le futur et je suis là pour t’aider. C’est Chromie qui m’a envoyée, depuis ton présent.
-      Je comprends rien… dit Xyla.
-      C’est pas grave, je te serai très utile !
Xyla future se tourna vers le Sablier de Lavinis et fronça les sourcils. Le Sablier avait commencé son processus et attendait que le sable s’écoule. Mais au moment où l’activation débuta, le sable devint noir et se mit à glisser étrangement. Le Sablier brilla de cette même lueur noire et une silhouette sombre se dessina. Dans un écho lointain, on entendait un rire glacé et caverneux. Lavinis devinait ce qui se tramait mais ne voulait pas y croire. Elle n’arrêtait pas de secouer la tête en marmonnant.
-      Non, ce n’est pas possible… non… non…
Le dernier grain noir dévoila Sinival, plus ravagée que jamais. Sa tenue vestimentaire était provoquante et osée, ses cheveux étaient ternes et plats, coupés courts et grossièrement. Elle se tenait négligemment sur son arme, une lourde hache tranchante.
-      Qu’est-ce que tu fais là ! Retourne à ta place ! hurla Lavinis à l’égard de Sinival.
-      Tu croyais peut-être que j’allais te laisser courir à ta perte… enfin, à ma perte ! répondit cette dernière d’une voix rauque parsemée d’un écho de glace.
-      C…comment ça ?
Sinival éclata d’un rire dément et s’approcha de Lavinis. Elle lança un regard mauvais à Xyla ainsi qu’à sa projection future, qui soutint son regard en défi muet. Sinival cracha sur une des racines de l’arbre et se concentra sur Lavinis.
-      Cette… gnome, dit-elle avec haine, elle voulait te tuer, tu sais !
-      Ne dis pas de bêtise ! Je ne la connais même pas !
-      Peut-être mais elle ne voulait pas ton bien en tout cas. Pourquoi crois-tu qu’elle ne voulait pas te donner de Sablier alors que la mission est dangereuse ?
Lavinis écarquilla les yeux et sentit l’adrénaline monter en elle. Elle voulut se ruer sur le Sablier pour en arrêter le processus mais un dragon gigantesque se posa juste entre elle et sa cible.
-      C’est le moment d’agir, dit la projection future de Xyla.
L’arbre fit naître du sol de larges ronces qui emprisonnèrent le dragon et serrèrent ses ailes contre son corps, pour qu’il ne puisse pas se dégager. Xyla se transforma en félin et se jeta toutes griffes dehors sur le flanc de la bête, la partie la plus sensible. Le dragon émit un cri spectaculaire et cracha du feu dans la direction de Lavinis, qui fut écartée de justesse du brasier par Sinival.
Cette dernière se releva immédiatement et se jeta alors sur le dragon pour lui trancher le cou dans un cri de satisfaction effrayant. Sinival regarda le sang du dragon qui s’écoulait sur ses pieds et en éprouva un grand plaisir. Elle trempa entièrement sa main dans le fluide rouge et visqueux et s’en étala sur le visage et le torse. Lavinis l’observa avec crainte et dégoût. Sinival s’approcha de Lavinis et lui caressa la joue de sa main ensanglantée.
-      Tu devrais me remercier…
-      Tu es un monstre ! lui siffla Lavinis.
Sinival eut un rictus qui se transforma vite en un rire nerveux.
-      Ma pauvre… Tu oublies que si je suis là, c’est grâce à toi !
Le bruit du cristal brisé raisonna dans le cratère du Sanctuaire Draconique Bronze et le sable noir se mélangea au sable du sol. Sinival regarda son corps s’effacer et envoya un baiser à Lavinis avant de disparaître totalement.
-      Xyla ! Pourquoi tu as fait ça ? demanda Lavinis.
-      Parce que … cette elfe représentait plus de danger que n’importe quel dragon ! répondit Xyla.
La projection future de Xyla approuva d’un signe de tête.
-      C’était qui, Lavinis ?
-      Quelqu’un que j’ai connu par le passé…
-      Pourquoi c’est elle qui est venue ?
-      Je n’en sais rien moi, répondit Lavinis, excédé par les questions de Xyla.
-      Je vais y aller, dit la projection future de Xyla. Le sable a terminé sa course.
Xyla regarda son Sablier qui était à présent complètement vide. Elle voulut saluer une dernière fois son futur mais l’arbre s’était déjà dissipé.
Elle se retourna ensuite vers Lavinis, qui était devenue livide.
On doit aller à Dalaran, sur-le-champ ! dit-elle.