17/09/2010

Un apprentissage douloureux

Un apprentissage douloureux


Le ravin dans lequel ils s’enfoncèrent n’était pas très long et bien vite, ils aperçurent les terres du Marécage de Zangar.
-          Nous voici au Refuge Cénarien, annonça l’elfe de sang. Restez à l’entrée, je vais chercher la personne qu’il vous faut.
Xyla, Lavinis et Malevih obéirent et restèrent bêtement plantés sur la passerelle d’entrée. Leurs émotions avaient jusque là voilé leur regard sur la région qui était d’une beauté merveilleuse, rien en comparaison à la Péninsule des Flammes infernales. D’immenses champignons aux couleurs pastelles remplaçaient les arbres d’une forêt et de nombreuses petites nappes d’eau parsemaient le paysage au sol. Des spores luminescentes tombaient doucement du sommet des champignons, en dansant avec des gouttelettes d’eau en suspension. L’air était bien plus respirable que celui qui avait empli leurs poumons à leur arrivée en Outreterre. Plus de soufre, de feu. C’était l’apaisement de la Péninsule, le baume qui calme les plaies. L’eau du Marécage sur les Flammes infernales.
Une elfe de la nuit s’avança vers eux. Xyla eut un raidissement en la voyant arriver mais Lavinis la calma.
-          Ne t’inquiète pas, elle ne nous fera pas de mal.
L’elfe de la nuit s’approcha de Xyla et l’aida à descendre de sa monture. Après quoi, elle fit signe à Lavinis et Malevih de les suivre et elle s’engagea à l’intérieur du Refuge Cénarien. Tout semblait harmonieux dans le petit village. Les taurens et elfes de la nuit discutaient dans une langue commune et ne semblaient pas se soucier de la guerre qu’il pouvait y avoir entre la Horde et l’Alliance. Ils étaient druides et c’est tout ce qui comptait pour eux.

Ils arrivèrent à une petite maison qui semblait avoir été sculptée dans un arbre. Le plancher se mêlait à une délicate végétation fleurie et, sur les poutres de soutien, étaient dessinées habilement dans le bois, de petites feuilles rondes de laurier.
L’elfe de la nuit installa Xyla sur un siège. Elle se pencha pour être à même niveau et prit délicatement en mains, le bras droit de la taurène. Elle observa minutieusement la blessure et marmonna quelques mots dans une langue inconnue de Xyla. Puis, elle posa une main souple sur la plaie et la taurène sentit rapidement l’énergie douce de l’elfe de la nuit couler dans son bras. Xyla se sentie envahie d’harmonie et tous ses soucis se volatilisèrent, l’espace d’un instant. Cette chaleur fraîche qui se répandait dans son bras lui faisait penser à la sève d’un arbre ; aussi délicate et porteuse de vie. Au bout d’un instant, l’elfe retira sa main et l’impression de légèreté s’estompa rapidement. A l’endroit où il n’y avait, quelques minutes auparavant, que de la chair déchirée et une plaie suintante, Xyla put observer une peau lisse et sans aucune cicatrice. Elle releva les yeux vers l’elfe de la nuit. Un flot de questions lui brûlaient les lèvres et elle ne savait par où commencer. L’elfe se contenta de lui sourire.
-          Vous avez de la chance d’être encore là ! Elune vous protège.
-          Qui est Elune ?
-          C’est notre déesse lune. Je crois que vous l’appelez Mu’sha, dans votre langue.
Xyla eut une mimique d’incertitude. De toute évidence, elle n’avait jamais entendu parler ni d’Elune ni de Mu’sha.
-          Comment vous avez réussi à faire ça ? demanda finalement Xyla, en montrant son bras droit.
-          Certains druides choisissent de concentrer leur énergie dans l’art de la guérison.
-          Tous les druides peuvent le faire ?
-          Tous, certainement … Mais pas au même niveau.
-          Est-ce que je pourrais y arriver ?
-          Je ne sais pas, il faut que tu trouves les réponses à ces questions dans ton esprit.
Après quoi, l’elfe de la nuit se redressa et quitta l’auberge. Xyla la suivit des yeux, essayant de mémoriser chaque mot qu’elle venait de lui dire. Lavinis et Malevih entrèrent à leur tour dans l’auberge, en jetant un regard inquiet à Xyla.
-          Ca va mieux ? Elle a pu te soigner ? demandèrent-ils en chœur.
-          Oui oui, je me sens beaucoup mieux et je n’ai plus rien, répondit-elle en montrant son bras.

* * *

Lavinis décida qu’il était plus prudent de passer la nuit au Refuge Cénarien car Xyla venait tout juste de guérir et qu’elle ne pouvait pas prévoir quels dangers les attendaient au-delà du village. Ils passèrent la nuit dans la petite auberge, sur des paillasses. Les druides de cet endroit semblaient cultiver un goût pour la précarité. Peut-être cela les rapprochait-il des esprits ou de cette fameuse énergie dont ils parlaient ? Ou peut-être était-ce le simple plaisir de dormir sur ce plancher mêlé à cette douce végétation et parsemée de fleurs rosées ? Lavinis, Malevih et Xyla dormirent comme des nouveau-nés, cette nuit-là et à l’aube, ils avaient récupéré toutes les forces qui leur avaient manqué depuis de nombreuses semaines.
Alors que Lavinis avait l’habitude de se réveiller dans la bave de Xyla qui était venue se blottir contre elle durant la nuit, elle fut désorientée de ne pas sentir cette lourde masse contre elle, ce matin-là. La paillasse de Xyla était vide et froide. Malevih, quant à lui, dormait profondément sur la paillasse suivante.
Inquiète pour son amie, Lavinis se leva en toute hâte pour faire le tour du Refuge. Les premiers rayons de lumière perçaient tout juste à l’horizon et pourtant, la plupart des habitants étaient déjà bien actifs. Lavinis n’eut pas de mal à trouver Xyla. Cette dernière se tenait au bord d’un puits luisant, aussi attrayant que celui dans lequel Kolzy avait été puiser de l’eau pour elles.
Xyla faisait glisser sa plume à la surface de l’eau, en marmonnant d’étranges mots.
Lavinis s’approcha d’elle calmement.
-          Tu es matinale !
Xyla releva la tête, extirpée de ses pensées.
-          Je voulais essayer quelque chose…
-          Et ça t’a réussi ?
-          Pas vraiment, il faut que je m’entraîne encore.
-          Si on allait réveiller Malevih ? proposa Lavinis, en prenant Xyla par la main.

Pour rejoindre Terokkar, il fallait descendre directement au sud, en suivant le chemin fait de passerelles en bois, qui enjambaient les nappes d’eau du marécage. Lors du trajet, ils auraient l’occasion de longer le deuxième plus grand lac d’Outreterre et d’admirer les danses harmonieuses des nombreux sporoptères qui grouillaient dans la région. Ces animaux, sortes de raies aériennes, flottaient en suspension, comme les gouttelettes d’eau, éparpillées un peu partout dans le marécage. Au fil des flux d’air et d’eau, ils allaient et venaient, ondulant, répandant leurs spores phosphorescentes.
Lavinis empaqueta les dernières affaires et fixa solidement son sac sur son dos. Malevih l’imitait soigneusement, pour être certain de ne rien manquer. Du coin de l’œil, il observait Xyla qui n’avait pas encore rangé son matériel. Elle était assise à l’extérieur et parlait à un arbre géant. Prenant toujours exemple sur Lavinis, Malevih soupira doucement, tâchant d’imiter au mieux l’exaspération. Voyant que l’elfe de sang s’apprêtait à aller retrouver Xyla, il décida de prendre les devants.
-          Laisse, je vais aller lui parler ! Entre druides, il y a des choses qui passent mieux, dit-il en prenant un air supérieur.
Lavinis haussa les épaules et déroula la carte pour visualiser leur trajet.
Fier de son courage, Malevih s’avança vers Xyla.
-          Alors … Tu parles aux arbres ? tenta-t-il comme première approche.
-          Oui, il est très gentil et très sage !
-          Bah voyons…
Malevih étouffa un rire puis hurla d’effroi. L’arbre venait de bouger pour se pencher sur lui, dans un geste plein de craquements. De sa voix rugueuse et centenaire, il prononça distinctement « Es-tu vraiment druide, petit tauren ? ». Malevih ne supporta pas le choc et s’écroula sous l’émotion, dans un bruit lourd.

-          Il est mort, cette fois ? demanda Lavinis, en se penchant sur lui.
-          Non, juste étourdi, je vais essayer de le ramener avec ma guérison !
-          Parce que tu sais guérir, maintenant ?
-          Je m’entraîne…
Lavinis commença à perdre patience.
-          On n’a pas que ça à faire ! S’il veut crever ici, laisse-le. Je continue le chemin et tu m’accompagnes !
Sur quoi, elle agrippa la queue de Xyla et la tira loin de Malevih.

* * *

La route se fit en silence. Lavinis menait la marche et Xyla traînait la patte, se retournant sans cesse. Elle eut soudain dans l’idée de ralentir un peu plus leur progression en trouvant comme prétexte qu’elle devait s’entraîner et que seul cet endroit l’approchait suffisamment des Esprits. Lavinis leva les yeux au ciel mais ne pouvait décidément rien refuser à sa petite protégée. Aussi, elles s’arrêtèrent au bord du grand lac. Lavinis sortit sa canne à pêche et s’installa confortablement sur une mousse humide, laissant Xyla à sa méditation et son entraînement.
De son côté, la druidesse s’était un peu éloignée pour s’assoir et fermer les yeux. Elle prononça quelques mots, dans un rythme choisi. Sa formulation était bien faite aux Esprits mais n’avait pas vraiment à voir avec une maîtrise quelconque. « Malevih, retrouve-nous ! ». Elle répétait son murmure, sans relâche, espérant que le tauren l’entende. Les Esprits de la Nature sont souvent capricieux mais ils ont aussi leurs préférences car, ce jour-là, ils exaucèrent Xyla. Malevih avait suivi d’instinct la piste qui menait au sud car il connaissait leur itinéraire. C’est Xyla qu’il vit en premier et il fut également soulagé de constater qu’elle était seule. Il s’approcha silencieusement et s’assit à côté de Xyla, qui n’avait pas encore remarqué sa présence. Il entendit ses murmures. Il sourit et fut touché d’une telle attention. Un flot d’émotions indescriptibles lui montèrent à la gorge et il étouffa un petit bruit.
Xyla ouvrit les yeux, émerveillée de voir que les Esprits lui avaient rapporté Malevih.
Dans un geste de tendresse, elle enlaça Malevih.
-          Je suis contente que tu sois de nouveau là ! Je veux tenir ma promesse.
-          Quelle promesse ?
-          Je t’ai dit que j’allais t’entraîner, tu ne te rappelles déjà plus ?
-          Oh … si, bien sûr. C’est juste que j’ai peur de ne pas être à la hauteur.
-          Ne t’en fais pas, je suis sure que tu y arriveras ! Suis-moi.
Xyla ôta ses vêtements pour n’être plus qu’en tenue légère. Malevih resta figé sur place, n’osa plus bouger ni prononcer mot.
-          Et bien ? Tu attends le déluge ? demanda Xyla, les mains sur la taille.
-          Q…Qu’est-ce que je dois f…faire ? balbutia Malevih.
-          Fais comme moi, on va aller se baigner.
Malevih avala sa salive avec peine mais suivit les ordres de Xyla, qui semblait se soucier nullement de la pudeur.
A peine Malevih eut-il ôté son pantalon que Xyla lui attrapa le bras et l’emmena avec rapidité au fond du lac.
Le choc de l’eau glacée sur sa peau coupa la respiration du tauren, qui n’avait déjà pas eu le temps de prendre une bonne bouffée d’air. Sous la pression de l’eau qui l’entourait, il finit par ouvrir les yeux, pour estimer à quelle profondeur l’avait emmené Xyla mais la surface restait inestimable. Il remarqua à ce moment que ce n’était plus Xyla qui le tirait par le bras, d’ailleurs, mais un gros lion de mer tout blanc. Pris de panique, il ouvrit la bouche et but une immense tasse. Ils avaient touché le fond. Le lion de mer le tenait fermement, de sa nageoire robuste. Malevih tentait de remonter mais le poids de l’eau était à présent plus fort. Il était à deux doigts de se noyer, il voulait crier. Il plaça ses deux mains autour de sa gorge, comme pour se délivrer d’une corde qui serre trop. Et plus l’air manquait, plus son champ de vision se rétrécissait.

Xyla avait finalement remonté Malevih à la surface, juste à temps. Elle avait allongé le tauren inconscient sur le rivage et s’était assise à côté de lui, une main sur son torse, l’autre sur le sol. Lavinis les avait vus remonter et arriva en courant.
-          Que fais-tu ? hurla-t-elle en voyant que Xyla n’essayait même pas de le ranimer.
-          Mais, je le soigne !
-          Pauvre sotte ! Il faut lui faire du bouche-à-bouche, continua-t-elle à hurler.
Lavinis écarta Xyla et se pencha sur Malevih, dont la langue pendait hors de sa bouche. Elle fit une grimace et se retourna vers la taurène.
-          Tout compte fait, tu peux continuer à le soigner à ta manière…

Malevih finit par reprendre ses esprits, après une longue heure où Lavinis observait les essais vains que Xyla faisait pour le guérir. En se redressant, le tauren remarqua qu’on lui avait ôté tous ses vêtements et il se sentit affreusement gêné de se trouver ainsi devant Xyla.
-          Tiens, habille-toi, tu seras mieux comme ça ! lança Lavinis en lui balançant ses vêtements à la figure.
A peine eut-il le temps de rassembler toutes ses idées que Xyla le prit à part pour lui parler.
-          C’est pas grave que tu n’aies pas réussi à te transformer, on va essayer quelque chose de plus facile en chemin.
Malevih hocha la tête mais se sentait malgré tout de moins en moins rassuré. Il tenta alors de se raccrocher à l’idée que Xyla ne l’emmènerait probablement plus au fond d’un lac et évita d’imaginer ce qui pouvait l’attendre d’autre.
Après seulement une dizaine de minutes de marche, Xyla s’arrêta à nouveau, au grand désespoir de Lavinis.
-          On ne va jamais y arriver à ce rythme-là !
-          Pas de problème, je gère la situation ! J’ai redessiné notre trajet qui est beaucoup plus rapide. Regarde !
Xyla tendit fièrement à Lavinis la carte de l’Outreterre sur laquelle elle avait tracé une ligne droite – et bleue – jusqu’en Ombrelune.
-          Et je suppose que moi aussi, je vais devoir me transformer en oiseau ? demanda Lavinis, sarcastiquement.
-          Ah, je n’avais pas pensé à ce détail…
Consternée, Lavinis resta un moment sans rien dire puis poussa un cri hystérique. L’elfe de sang, d’habitude si calme et posée, se lança dans une danse frénétique pour évacuer le trop plein de stress.
Préférant éviter la folie passagère de son amie, Xyla s’écarta avec Malevih.
-          Puisqu’on en a quand même pour un petit moment, annonça Xyla en observant du coin de l’œil Lavinis qui se roulait dans la vase, je suggère qu’on tente un autre exercice !
-          Je crois que je n’ai pas le choix… répondit Malevih, peu sûr de lui.
-          Tu vois le gros caillou, là-bas ? Je veux que tu l’enserres avec des ronces.
-          Hum… Des ronces ? Et je les trouve où ?
-          Mais, tu les crées !
-          Ah, je peux faire ça ?
-          Bah oui ! Regarde.
Xyla prit une position stable en écartant légèrement ses jambes et en enfonçant ses sabots dans la terre. Elle fit un geste bref et circulaire avec ses bras puis les dirigea devant elle, vers le haut, s’arrêtant au niveau de sa tête. Elle tenait le rocher en visée avec ses mains. Le sol frissonna un instant et des lianes remplies d’épines s’extirpèrent du sol pour étouffer le morceau de roche. Après quoi, elle relâcha sa proie et les ronces retournèrent paisiblement à la terre. Malevih avait observé attentivement.
-          Je crois que j’ai compris ! Je me lance !
Il tâcha d’imiter au mieux les mouvements de Xyla ; écarta les jambes, fit un moulinet avec ses bras, puis un geste vers l’avant, en direction du rocher. Une onde légère parcourut l’eau dans laquelle il pataugeait. Une petite liane sortit de la terre et rampa timidement sur le rocher. Malevih se concentra de toutes ses forces pour accentuer l’effet. Le sol gronda et de solides ronces en jaillirent, aux pieds de Malevih, pour s’abattre sur ce dernier.
Dans un dernier souffle, on entendit un petit cri de douleur sortir d’un immense buisson de ronces.