26/09/2010

Xyla toute seule

Xyla toute seule


Les premiers jours d’entraînement de Xyla furent assez difficiles, tant bien pour la druidesse que pour ses deux compagnons de route qui l’observaient depuis le balcon de l’auberge ou depuis la passerelle qui surplombait le lac.

Le Maître, un elfe de la nuit d’une cinquantaine d’années prénommé Loganaar, avait décidé de recommencer les bases de la maîtrise druidique avec Xyla. Ainsi, il l’avait fait s’assoir au bord du lac et lui avait dit de vider son esprit, ce que la jeune taurène ne comprit pas. Elle comprenait relativement bien le Taurahe à présent mais toute autre langue semblait même l’effrayer. Loganaar était patient et bien qu’il ne connût pas le Taurahe, il essaya une à une toutes les langues qui lui avaient été données d’apprendre durant sa vie. Le Darnassien semblait faire naître en Xyla des cauchemars chaotiques qui firent rapidement taire Loganaar. Il essaya, avec un léger accent, de lui parler la langue commune de la Horde, l’Orc, ce qui calma Xyla instantanément. Soulagé d’avoir trouvé une solution à son problème, il reprit ses explications en Orc mais au fur et à mesure qu’il parlait cette langue, le regard de la taurène changea et elle finit par courir en rond en hurlant après son doudou. L’elfe observa la scène et fut pris de pitié pour la pauvre créature qui semblait avoir eu de nombreux moments difficiles dans son enfance. Quand Xyla fut à nouveau calmée, après de longues minutes, Loganaar essaya ses explications en Commun cette fois – quitte à tout essayer – mais Xyla ne réagit absolument pas à ce langage-là, comme s’il avait s’agit d’un bruit de fond. Elle observait juste l’elfe en souriant et se mit à éclater de rire après qu’il eut prononcé « wos », un mot qui semblait particulièrement plaire à la petite druidesse. Elle répéta le mot en boucle en se lançant dans une danse frénétique.

Loganaar commençait à sentir ses limites mais ne se découragea pas. Il s’assit alors au bord du lac lui-même et mima ce qu’il voulait de la taurène. Il ferma les yeux et tâcha de vider son esprit, secoué par les chansons païennes de son élève. Du coin de l’œil, il tâchait de suivre malgré tout Xyla qui n’accordait plus d’attention à son Maître et se roulait à présent dans la boue du rivage en riant.

Loganaar sentit lui monter la rage qu’il canalisa instantanément en se transformant en ours. A sa grande surprise, cette métamorphose suscita chez Xyla une attention soutenue et toute vouée au Maître druide. Elle se releva et s’avança d’un pas hésitant vers Loganaar qui avait conservé sa forme d’ours. D’une main tremblante, elle lui caressa la tête et prononça quelques mots dans un langage d’Ours plus que fluide. Loganaar lui répondit en détachant bien chaque syllabe car ce n’était pas la langue qu’il maîtrisait le mieux à vrai dire. Mais Xyla comprit immédiatement ce qu’il lui demanda et elle s’assit sagement à ses côté, attendant la suite des instructions. Enthousiasmé par le talent de sa jeune élève, Loganaar aurait voulu la présenter aux autres Maîtres car jusqu’ici, aucun druide n’avait été capable de maîtriser aussi bien une des langues de l’animal qu’il incarnait lors de ses métamorphoses. Mais sa sagesse et son devoir évanouirent rapidement ses pensées pour les remettre à plus tard. Il se devait à présent d’apprendre à la taurène ce qu’elle devait savoir car elle était promise à un grand avenir.

Il continua ainsi ses explications en Ours et cela semblait convenir parfaitement à Xyla qui s’appliquait de tout son cœur pour satisfaire son Maître. Elle travailla ardument jusqu’à la tombée de la nuit où Vangelis vint la recueillir en annonçant l’heure avancée et les besoins de sommeils et de nourriture que devait surement réclamer Xyla.

Le lendemain, le soleil n’était pas encore levé que Xyla sautait déjà sur le lit moelleux de l’auberge en réveillant Vangelis et en expulsant Ikhé qui s’était assoupi au pied de la couverture, la veille. La druidesse grognait férocement et Vangelis, encore somnolente, supposa qu’elle avait dû abuser de quelque chose la veille sans pour autant remettre le doigt dessus. Ikhé tenta de maîtriser Xyla au mieux et le plus rapidement possible, afin d’éviter de réitérer l’événement de l’auberge de Sabot-de-Sang. Il grogna sur une intonation rauque que Vangelis n’avait jamais entendue chez son loup jusqu’alors. Et à sa stupéfaction, cela calma Xyla…
-          Tu as appris ce tour comment ? s’empressa-t-elle de demander à Ikhé, comme s’il avait s’agit d’un numéro de cirque.
-          J’ai tâché de prononcer un mot en Ours, bien que je ne sache absolument pas ce que je viens de dire…
-          Et tu ne penses pas que ça puisse être dangereux, ce que tu viens de dire ?
Elle avait ajouté ça suite à la réaction de Xyla qui avait instantanément changé de comportement et qui s’était à présent assise en face d’Ikhé et lui ronronnait des douceurs en le regardant avec passion. Ikhé remarqua cela fit un pas en arrière mais Xyla semblait aimantée à lui et il ne parvenait plus à maintenir une distance convenable entre eux. Vangelis s’amusa de la scène, se demandant ce qu’Ikhé avait bien pu lui dire précisément pour provoquer une telle effervescence chez la petite druidesse.
Le soleil se décida enfin à se lever et Ikhé en fut soulagé car il n’aurait pas pu attendre plus longtemps pour remettre la druidesse dans les mains de son Maître. En s’éloignant vers la petite forêt qui bordait le village, Xyla fit signe à Ikhé en lui criant encore quelques mots en Ours, ce qui surprit les oreilles de Loganaar. Ikhé quant à lui se contenta de faire un signe bref de la tête en se forçant à sourire. Dès que les deux druides eurent tournés le coude que faisait la route menant au bois, Ikhé s’empressa de courir chez sa maîtresse.
-          Il faut absolument que nous partions, je ne pourrai pas rester ici une minute de plus ! annonca-t-il avec la plus grande conviction que Vangelis n’ait jamais pu observer chez lui. Elle s’en amusa et profita de la situation pour reprendre le dessus qu’elle avait rarement sur son loup.
-          Rentrer immédiatement ? Oui, on pourrait y penser mais je me sens bien ici… Il y a tout plein de champignons fantômes à cueillir dans les parages et ce lac me procure une certaine sérénité.
Elle observa Ikhé d’un air cynique, attendant de le voir se dégonfler mais il n’en fit rien.
-          Tu veux rester maintenant ? Je croyais que tu ne trouvais rien de bon à la magie ! Pourtant, cet endroit en regorge ! Partons sur-le-champ et laissons la druidesse ici. Elle est bien entourée à présent et puis son Maître lui parle dans sa langue, c’est parfait, non ?
Vangelis hésita et réfléchit silencieusement. Elle repensait à l’invention qu’elle avait eu l’idée de créer, sur le chemin qui les avait mené jusqu’ici. Elle se demanda quel matériau il serait plus judicieux d’utiliser pour que l’objet satisfasse. Puis elle se fredonna une chanson, toujours mentalement. Le temps qu’elle passait ainsi à faire semblant de réfléchir à la situation faisait enrager Ikhé et elle le savait bien, d’où tout son plaisir à faire durer les choses. Mais son loup ne l’entendait pas de la même oreille et il ajouta, au bout de plusieurs longues minutes de silence, que si Vangelis ne se décidait pas à partir, rien ne le privait de partir seul. A ces mots, la chasseresse fut prise de panique car Ikhé était une part de son âme, un morceau d’elle et bien qu’elle soit presque sure que ces menaces n’était que du vent, elle préférait ne pas s’y frotter car l’idée même d’être seule, sans Ikhé, sans son loup, sans son bras droit, la faisait trembler intérieurement.
-   Bien, faisons nos bagages, nous partons !

* * *

Quand le soleil commença à décliner, Xyla s’était déjà grandement améliorée. Elle avait réussi à canaliser une certaine énergie qui lui avait permis d’entrer en contact avec les arbres de la forêt. Son Maître lui avait expliqué que cette discipline était très difficile et qu’à l’âge de la petite taurène, il valait mieux ne pas encore en abuser mais que si elle se sentait l’âme d’approfondir cela par la suite, il pourrait lui montrer la voie.

En rentrant au côté de Loganaar, alors qu’une étrange lumière rouge et or rasait le toit des maisons du village, créant de longues ombres qui ondulaient sur le lac d’une manière effrayante, Xyla sentit un froid lui passer le long de l’échine. Elle jeta un regard à son Maître et sa présence la rassura immédiatement. Puis, se rappelant qu’elle allait enfin revenir à l’auberge et retrouver Vangelis et surtout Ikhé, elle sentit la joie lui monter au cœur. Elle se mit à dévaler la pente qui menait à l’auberge, passa en coup de vent devant l’aubergiste qui lui marmonna quelque chose qu’elle ne comprit pas puis entra dans la chambre en riant aux éclats et en appelant Ikhé. Elle tourna en rond dans la pièce vide, regarda sous les lits, ouvrit les armoires, prit un drap et le mit sur sa tête en espérant effrayer Ikhé dès qu’il sortirait de sa cachette. Elle se cacha dans un coin en gloussant et attendit. Elle attendit et sentit l’odeur du repas qui était servi en bas. Elle attendit et vit la lune se lever et briller sur le lac. Elle attendit et sursauta quand les chouettes se mirent à hululer. Elle finit par s’endormir dans le coin dans lequel elle s’était cachée en attendant ses amis.

La nuit, elle rêva qu’elle était un oiseau qui volait dans les nuages. Elle planait doucement au-dessus d’une contrée qu’elle ne connaissait pas. L’air était doux et chaud, ce qui lui permettait de voler sans effort. Au loin, elle voyait une tâche noire… non, un essaim d’insectes… non un gros nuage ! Elle s’y trouvait à présent entièrement empêtrée et la tempête y faisait rage. Dans le nuage, il y avait des insectes recouverts de tâches noires : des mouches taurènivores ! Xyla se débattait tant bien que mal. Elle hurlait après Ikhé, après Vangelis mais personne ne vint à son secours. Elle finit par oublier de voler et fut entraînée dans une chute vertigineuse… longue… ralentie… effrayante !
« MAMAN ! » Xyla se réveilla en sueurs et en pleurs. Le drap dans lequel elle s’était pelotonnée était couvert de lait.

Le jour venait de se lever, dans une couleur pâle et fade, comme si le soleil était triste. Triste comme Xyla qui comprit que Vangelis et Ikhé étaient partis sans elle. Elle renifla bruyamment en regardant le lac et le chemin qui remontait vers l’endroit par où ils étaient arrivés ensemble et les couleurs se mélangèrent pour former un amas informe et décolorés.
En se levant pour s’approcher du balcon, elle marcha sur quelque chose qui roula sous son sabot. Elle le ramassa et reconnut avec bonheur le crayon bleu de Vangelis ! Elle le serra contre elle puis le rangea soigneusement dans son sac. Pour Xyla, c’était un signe que Vangelis voulait lui laisser : « Je reviendrai avec Ikhé ! ». Elle regarda une dernière fois le crayon bien rangé dans son sac puis descendit les escaliers de l’auberge pour rejoindre son Maître. Dehors, le soleil qui s’était levé timide brillait à nouveau et Xyla poussa la chansonnette avec les oiseaux qu’elle entendait.