28/09/2010

Xyla

Xyla


La petite druidesse avait dormi trois jours dans l’auberge où Vangelis avait pris une chambre. Ikhé et elle l’observèrent de longues heures, émerveillés par ses métamorphoses incontrôlées qui suivaient les émotions des rêves de la petite taurène. Parfois, de son aspect mi-ours mi-lion, une patte changeait, grossissait, devenait plus velue ou redevenait un sabot. Le visage tendait alors plus vers un lion, un ours, une taurène à la suite de ce qui venait. Vangelis restait médusée et absorbée par la petite taurène qui marmonnait des bribes de mots compréhensibles dans le charabia de ses rêves. Elle pouvait y distinguer régulièrement « doudou » et « maman ». Deux mots qui semblaient être des reliques de la civilisation qui avait probablement été offerte à cette taurène dans ses toutes premières années.
En croquant un champignon fantôme – qui était absolument nécessaire à ses réflexions, sous le regard réprobateur d’Ikhé – elle tentait de remettre en place les morceaux du puzzle de la vie de cette étrange druidesse. « Maman ». De quelle mère pouvait-elle bien rêver ? De sa vraie mère ou de cette ourse qui l’aurait élevée ? Avait-elle seulement connu ses véritables géniteurs ? Et qu’en était-il de ce « doudou » ? De quoi pouvait-il bien s’agir. Vangelis avait beau réfléchir et croquer des champignons fantômes, les énigmes semblaient de plus en plus complexes dans sa tête. Elle prit finalement congé de ses pensées et remarqua le regard soutenu d’Ikhé.
-          Il faudrait tâcher de lui trouver un Maître ! dit-il avec empressement sitôt l’attention prise de sa maîtresse.
-          Oui oui, répondit distraitement Vangelis.
Ses pensées étaient déjà reparties. Pourquoi lui trouver un Maître alors que cette petite pourrait faire le sujet d’expériences des plus intéressantes ? En parler à Ikhé ne ferait que compliquer les choses. Il ne pourrait pas comprendre. Il ne comprend rien aux expériences. Et puis d’ailleurs, personne ne comprend rien à ces magnifiques expériences ! Toujours à vouloir sauver leur vie avant de servir à la science.
-          Qu’est ce que tu disais ? lui demanda Ikhé.
-   J… j’ai encore pensé à voix haute, c’est ça ?
Elle eut pour réponse un acquiescement accusateur de la part de son loup. « Bien, on lui trouvera un bon Maître et qu’on n’en parle plus ». En prenant garde à bien fermer sa bouche, elle s’ajouta pour elle-même « Mais je compte bien essayer une ou deux petites expériences sur cette druidesse ! ».

* * *


La druidesse finit par se réveiller en pleine nuit, créant un tapage qui réveilla toute l’auberge, sauf Vangelis qui dormait à un mètre d’elle. L’aubergiste monta en furie dans la chambre d’où provenait un tel boucan, fracassa la porte sous sa colère et hurla aux convives de calmer cette folle ou de partir immédiatement. Ikhé s’inclina respectueusement devant l’aubergiste et tenta de lui expliquer que ce n’était pas sa maîtresse qui faisait tout ce bruit, avant de comprendre qui était réellement traitée de folle. Grimaçant, il tenta de consoler la druidesse qui projetait des traits lumineux et des éclairs verts dans toute la pièce en hurlant toujours après ce doudou. La nuit finit dehors, sous un pin avec pour paillasse l’herbe grasse des prairies de Mulgore.
Au petit matin, Vangelis émergea d’un sommeil lourd.
-          Dis-moi Ikhé, on ne s’était pas endormi à l’auberge hier soir ?
-          Si mais, à vrai dire, nous avons été victimes d’un déplacement forcé…
-          Merde, je devrais mieux régler ce déchiqueteur dimensionnel !
-          Non, en fait, c’est à cause de la druidesse que nous sommes ici.
-          Ne me dis pas qu’en plus, elle a le pouvoir de téléporter !
-          Bon, pour faire clair : elle s’est mise à hurler cette nuit et nous avons été priés de finir notre nuit dehors. L’aubergiste a demandé que tu viennes récupérer tes affaires aujourd’hui et que tu règles la note. Il ne veut plus de nous.
Vangelis parut étonnée de n’avoir rien entendu durant la nuit. Cet aubergiste, tout de même ! Expulser trois convives au milieu de la nuit parce que l’une d’entre eux ronflait un peu fort. Elle s’exécuta malgré tout, en ronchonnant mais sans dire le fond de sa pensée à l’aubergiste qui lui fit un accueil glacial.
-          Bien, je pense qu’il ne nous reste plus qu’à nous mettre en quête d’un Maître pour toi, ma petite ! Pas vrai ?
La druidesse se gratta les fesses en guise de réponse.
-   Ce serait bien de lui apprendre le langage et les manières, en chemin aussi ! ajouta-t-elle. « En route, Ikhé ! … Je ne sais pas du tout où on doit aller ! »

* * *

Au fil de la route qui se présentait très longue puisque le kodo ne pouvait transporter qu’un passager, la druidesse commençait à comprendre la subtilité du langage. Vangelis avait décidé de commencer par lui parler Taurahe puisque c’était dans cette langue qu’elle pleurait après sa mère et son doudou. Plus tard, elle serait probablement apte à comprendre et à parler Orc. Ainsi, au fur et à mesure de leur avancement, Vangelis ne cessait de parler à la druidesse en lui désignant les objets qui les entouraient. La satisfaction l’emplissait de se sentir à ce point utile, bien qu’elle n’était pas sure que la petite taurène était toujours à son écoute. De tous les peuples de sa race que Vangelis avait pu observer, c’était bien la première taurène qui lui paraissait aussi étrange et particulière. La druidesse pouvait passer des heures à chanter des chansons dans une langue inconnue, à répéter des gestes étranges que même Ikhé ne pouvait interpréter. Parfois, elle se voyait prise d’une crise de folie, courait dans tous les sens et finissait la tête dans le sol pour se cacher de choses qui n’existaient pas. En attendant de lui trouver un Maître, Vangelis essayait de provoquer des métamorphoses pour satisfaire sa curiosité. En jetant la druidesse dans un fleuve, elle réussit même à la faire se transformer en un lion avec des nageoires !

Après avoir marché d’un bon pas le premier jour, ils s’arrêtèrent à l’entrée du bois d’Orneval pour se reposer. Vangelis dressa une tente rudimentaire avec quelques branchages pour rassurer la petite taurène qui tremblait et hurlait à la mort par séquence. Ces bruits réguliers inspirèrent Vangelis qui sortit un bout de parchemin et un morceau de charbon pour tracer le schéma d’un système qui sonnerait automatiquement quand une personne non-admise se permettrait de franchir une limite fixée. Et elle le nomma fièrement « La sonnerie qui sonne automatiquement à l’approche de l’ennemi ». En se penchant sur les notes de sa maîtresse, Ikhé lui demanda s’il ne serait pas plus simple de nommer cela une alarme mais Vangelis le dévisagea et lui demanda ce qu’il pouvait bien connaître au monde des inventions. Elle le pria d’aller chasser pour le repas du soir, attendit qu’il soit suffisamment éloigné pour remplacer « La sonnerie qui sonne automatiquement à l’approche de l’ennemi » par « L’alarme de Vangelis ». Après quoi, elle roula son parchemin et s’approcha de la druidesse qui se tenait assise sur son gros postérieur d’ours en hurlant, la gueule en l’air, de manière toujours aussi mécanique et régulière.
-          Alors, dis-moi, ma petite, qu’as-tu retenu de cette journée très enrichissante en ma présence ? s’enquit Vangelis.
La petite taurène s’arrêta de hurler, abaissa lentement son museau pour le mettre à la hauteur de celui de Vangelis qui s’était assise en face d’elle et lui rota à la figure. Ce après quoi elle éclata de rire et alla se réfugier immédiatement dans la hutte. Vangelis resta déconcertée par ce qu’elle venait de subir et fut soulagée qu’Ikhé n’était pas là pour voir un tel spectacle. En redoublant de patience, elle se dirigea à nouveau vers la petite taurène, prit soin de garder une certaine distance cette fois et lui montra une pierre.
-          Tu peux me dire ce que c’est, ceci ?
La druidesse hocha la tête.
-          Bien, dit-elle sur un ton détaché, alors dis-moi ce que c’est !
La druidesse secoua la tête en signe de négation.
-          Mais c’est pas vrai ! Elle va me rendre chèvre, cette petite conne !
Vangelis projeta la pierre au loin et alla s’assoir dans son coin pour râler en marmonnant quelque chose à propos du repas qui se faisait attendre et que si ça continuait comme ça, c’est de l’ours-lion qu’elle mangerait ce soir.
Ikhé finit par revenir avec deux gros lapins et fut accueilli par la druidesse qui se jeta sur lui pour lui lécher la gueule et l’appeler « Maman ». Se ressaisissant, Ikhé se détacha tant bien que mal de l’étreinte puissante de l’ours-lion et entreprit de lui expliquer la différence entre lui et sa mère. Et à sa grande surprise – ainsi qu’à celle de Vangelis qui espionnait depuis son coin – la druidesse articula distinctement « Ik-hé ».

* * *

Jusqu’à une heure avancée de la nuit, Vangelis et Ikhé parlèrent avec la druidesse qui, le ventre rempli et se sentant plus en confiance avec le loup, s’appliquait à prononcer des mots puis des phrases dans le langage des taurens. Elle se blottissait contre Ikhé qui appréciait sa douceur et sa chaleur, bien qu’il avait tendance à se sentir écrasé par la présence massive de la druidesse dans sa métamorphose ratée. Tous trois autour du feu, ils appréciaient la simplicité de regarder la danse harmonieuse des flammes et leurs esprits s’assoupirent doucement, au fur et à mesure que baissait la lueur des braises.

Le lendemain, ils se mirent en marche dans le bois d’Orneval qui regorgeait de la présence magique des elfes de la nuit. Les arbres chantaient et balançaient leurs feuilles au rythme du vent. Ikhé et la druidesse semblaient se sentir parfaitement à leur aise dans cet environnement qui avait plus tendance à effrayer Vangelis.
-          La magie, ça n’apporte rien de bon ! Les explosions, il n’y a que ça de vrai ! annonça-t-elle à qui voulait l’entendre. Elle jeta un coup d’œil sur la druidesse qui avait à présent des sabots en guise de pattes arrières, malgré son aspect mélangé entre un ours et un lion. « Ouais, vraiment rien de bon la magie ! ».
-          Au fait, coupa Ikhé en se tournant vers la druidesse, est-ce que tu as un nom ? Maintenant que tu sais que je m’appelle Ikhé, qu’elle s’appelle Vangelis, comment tu t’appelles, toi ?
La druidesse fit mine de ne pas comprendre, au grand énervement de Vangelis qui avait perdu toute patience depuis l’événement de la pierre. Elle arrêta la marche, montra Ikhé et articula « Ik-hé ! », après quoi elle se désigna et articula « Van-ge-lis !» puis elle montra la druidesse et prit un air interrogateur. Aussi basique que sa méthode put paraître, elle porta ses fruits puisque le regard de la druidesse sembla s’illuminer et elle prononça « Xy-la ».
-          Xyla ! reprirent Vangelis et Ikhé en cœur.
La petite taurène répondit à son nom en s’agitant.
-          Au moins, ce sera plus facile pour les avis de recherche que je compte poster dans toutes les villes ! ajouta Vangelis.