06/09/2010

Affrontement final

Affrontement final


Xyla s’était entraînée d’arrache-pied, pour apprendre à maîtriser parfaitement sa nouvelle forme. Il lui fallut tout de même quatre jours entiers avant qu’elle réussisse à se transformer en arbre aussi facilement qu’en ours ou en félin. Vangelis l’avait observée le premier jour puis s’était lassée et était retournée à la réparation de sa machine volante. Elle fut plus satisfaite de constater que son engin ronronnait à nouveau parfaitement – et émettait toujours autant de fumées toxiques – que de voir Xyla changer parfaitement de forme toutes les trois secondes.
Le quatrième soir, Xyla, encore couverte de feuilles et poils divers, s’avança vers Vangelis.
-          Je pense que je suis prête à affronter Sinival ! annonça-t-elle, sereinement.
-          Hein ? Ah oui, Sinival…, répondit distraitement Vangelis, qui était bien plus absorbée par les plans de constructions de sa nouvelle invention que par les propos de Xyla.
-          Tu m’accompagnes, alors ?
-          C’est ça, oui… « Et trois rouages en khorium », annota-t-elle sur la liste du matériel nécessaire.
-          Super ! On part demain matin ! lança Xyla, sur un ton enjoué.
-          Oui oui, « demain matin », écrivit Vangelis sur le coin supérieur droit de son plan.

Pendant la nuit, Vangelis se réveilla en sueurs. Elle jeta un bref coup d’œil autour d’elle, la main toujours posée sur son fusil. Tout était parfaitement calme, dans sa petite maison de bois, perchée dans les arbres. Elle reprit une respiration plus calme et se leva silencieusement.
-          Où vas-tu ? lui chuchota Ikhé.
-          J’ai plus de champignon fantôme ! J’en ai besoin…
-          Tu devrais arrêter, tu sais que ce n’est pas bon pour toi, la réprimanda son loup.
-          Tssss ! Tais-toi et viens avec moi ! J’ai besoin de ton flair pour les trouver.
-          Et la petite ? demanda Ikhé en regardant Xyla dormir paisiblement.
-          Pas de problème, on sera de retour à l’aube ! Mais il me faut mes champignons !
Vangelis parlait avec des gestes nerveux. Ikhé savait ce que ça voulait dire et il était impossible de lui dire non, tant qu’elle n’aurait pas eu sa dose de champignons fantômes.
-          Maudit soit le jour où tu as goûté à cette horreur, marmonna Ikhé.

Bien évidemment, Xyla se réveilla seule, le lendemain. Il n’y avait plus de trace de Vangelis, ni d’Ikhé. Ils étaient partis avec la machine volante, sans elle. Xyla ne comprit pas le comportement de Vangelis, qui lui avait pourtant promis la veille de venir l’aider à se battre contre Sinival.
Malgré tout, elle ne se découragea pas car elle s’était fixé un objectif et elle devait l’atteindre, quoiqu’il en soit ! Pour Lavinis !
Heureusement pour elle, Vangelis lui avait décrit la géographie de Norfendre, pendant la courte semaine où elles étaient restées ensemble. Xyla savait donc vers où elle devait se diriger pour rejoindre la cité des mages, où Sinival se trouverait surement encore. Elle prépara ses affaires et attacha fermement Willy, son petit monstre tentaculaire, à son sac.
-          Tu es sage et tu auras du lait ! dit Xyla à l’attention de sa petite créature.
Willy la regarda, de son unique œil, avec tout l’amour du monde. Après quoi, il s’endormit immédiatement, dans un ronflement sourd.
-          Pas croyable ! murmura Xyla, en observant son protégé.

Elle se transforma en oiseau et se mit en route vers Dalaran. L’air du bassin était chaud, ce qui lui permit de monter très rapidement et d’alléger une partie de son voyage.
La vue était particulièrement bien dégagée, ce matin-là, ce qui permettait à Xyla de voir loin. Mais lorsqu’elle sortit du microclimat du bassin, elle se rendit rapidement compte du froid mordant de l’altitude. Heureusement pour elle, elle voyait déjà Dalaran, au loin, perché sur son bout de rocher. Elle se concentrait sur ce point à atteindre, pour ne pas faillir. Le froid l’enveloppait, traître à sa façon et l’engourdissait sournoisement. Xyla dut plusieurs fois se secouer, pour ne pas s’endormir. Elle ouvrait à nouveau grand les yeux pour bien fixer Dalaran, les offrant ainsi au froid glacial qui s’en régalait. Le vent polaire lui brûlait la cornée et de chaudes larmes lui coulaient sur son bec.
Elle atterrit maladroitement sur l’aire de Krasus, l’endroit où elle s’était endormie, la dernière fois qu’elle s’était trouvée à Dalaran. Essoufflée, elle reprit sa forme taurène et s’allongea un instant à terre pour reprendre ses esprits.
Elle fut soulagée de sentir qu’il faisait toujours aussi doux à Dalaran et supposa que les mages y étaient pour quelque chose. En regardant le ciel d’un bleu intense, elle repensa à Lavinis, qui lui manquait. Elle aurait voulu l’entendre râler, sur le froid, sur le Fléau, sur une quelconque personne qui lui aurait manqué de respect. Mais elle n’avait que le bruit des passants qui résonnaient dans ses oreilles.
Elle tourna la tête, pour regarder son petit monstre, toujours accroché à son sac. Le froid du trajet ne l’avait apparemment pas dérangé et il dormait toujours à tentacules fermées.
-          Il me faudra beaucoup de force, pour l’affronter, dit-elle à Willy.
Le petit monstre émit un hoquet et ronfla de plus belle.

*  *  *

Sinival s’était installée à la même table, comme tous les midis. Elle avait commandé le plat du jour et lisait le journal du matin, les pieds nonchalamment posés sur la table.
-          Rôti de worg aux airelles de la toundra, annonça la serveuse, en déposant une assiette bien garnie, à la table de Sinival.
-          Pas trop tôt ! aboya-t-elle, de sa voix glacée. J’ai failli attendre ! Tu mets ça sur mon compte, je le règle en fin de semaine.
Sinival attrapa son assiette et dévora le rôti de worg, avec les doigts. Personne n’aurait rien osé lui dire quoique ce soit, car tous la craignaient, que ce soit à l’Abracadabar ou dans les entrailles de la cité.
C’est en jetant un regard distrait sur un article qui parlait des stratégies gnomes pour reprendre Gnomeregan, que Sinival remarqua que quelqu’un s’était assis à sa table.
-          Dégage, je veux personne à ma table ! dit-elle, entre deux morceaux de rôti.
-          Je veux me battre avec toi ! annonça la personne assise en face d’elle.
Sinival releva les yeux pour voir son interlocutrice et reconnut Xyla. Elle éclata de son rire glacial, manquant de s’étouffer avec son morceau de viande.
-          Tu veux te battre ? hurla-t-elle.
Le silence se fit dans le bar. Tous les yeux étaient rivés sur la taurène blanche assise en face de Sinival.
-          Oui, je veux que tu disparaisses ! Et j’irai jusqu’au bout s’il le faut ! annonça Xyla.
-          On ne me fait pas disparaître ! clama Sinival.
-          Tu ne me laisses pas le choix !
Xyla se leva et balança immédiatement un éclair vert à la figure de Sinival, qui fut projetée sur la table voisine, où un groupe d’orcs jouait aux cartes. Tout le monde se raidit, dans le bar, en voyant que la taurène avait osé attaquer Sinival.
L’elfe de sang se releva tout de suite, folle de rage.
-          Je vais enfin pouvoir me débarrasser de toi une bonne fois pour toute, vociféra-t-elle.
Xyla connaissait la façon dont Lavinis se battait et elle s’attendait donc à une attaque physique, de la part de Sinival. Mais elle fut prise à court, lorsque l’elfe de sang lui projeta une gerbe de glace qui l’enchaîna étroitement. Sinival s’approcha de Xyla, qui ne pouvait plus bouger d’un poil. Elle attrapa sa chaîne de glace et tira son colis à l’extérieur du bar.
-          Tu vas mourir dans une souffrance que tu ne pourrais même pas imaginer, sale bovine !
Sinival tira Xyla jusqu’au puits, raccourci peu usité pour accéder aux entrailles de Dalaran. Elle hissa Xyla sans peine et la balança dans le trou en poussant un cri de guerre dément. Mais à peine eut-elle jeté la taurène dans le puits qu’elle se rendit compte que cette dernière avait eu le temps de lui nouer une liane autour de la jambe. Sinival n’eut pas le temps de se raccrocher à quelque chose et fut emportée avec Xyla, dans les égouts.

La chute fut douloureuse, tant pour Xyla, qui s’écrasa dans un bris de glace, que pour Sinival, dont l’honneur et le respect avaient été bafoués. L’elfe de sang se releva avec peine et se jeta sur Xyla, qui eut tout juste le temps d’esquiver le coup. Xyla répliqua en forme féline, d’un grand coup de griffe manqué.
-          C’est donc ça, constata Sinival, avec un sourire vainqueur. Tu n’oses pas me toucher, de peur de faire du mal à ta petite copine ? Tu es ridicule !
Sinival sortit une dague qui était dissimulée dans sa ceinture en cuir. Elle n’avait pas revêtu son ensemble léger, ce jour-là et portait une simple tunique en cuir foncé, agrémentée de quelques accessoires camouflés, comme cette dague aiguisée.
-          Montre-toi, lâcheté de bovine ! hurla Sinival.
Xyla avait en effet préféré se dissimuler dans l’ombre, en constatant que Sinival n’aurait pas le moindre scrupule à la tuer.
-          Où te caches-tu ? Minou, minou… montre-toi !
Xyla se déplaça à pas feutrés vers un autre couloir étroit, en espérant qu’il conduise à la surface de la ville. Elle désirait toujours délivrer Lavinis mais là où elle se trouvait et dans l’état de stress dans lequel elle était, elle n’arriverait jamais à prendre le dessus, ni à utiliser sa nouvelle technique. Il n’y avait pas la moindre touche de nature, dans les égouts, et ça compliquait énormément son travail.
-          BOUH ! cria Sinival, en barrant le chemin à Xyla.
L’elfe de sang porta un coup vers Xyla, qui était toujours transformée en félin. Cette dernière réussit à éviter le coup blessant mais sentit la lame froide lui frôler la crinière.
-          Tu comptes ne faire que ça ? Esquiver ? lança Sinival, en portant un nouveau coup que Xyla évita à nouveau.
La druidesse balança un puissant coup de patte dans les jambes de sa rivale, pour la faire chuter et s’encourut dans un autre couloir des égouts. Allongée à terre, Sinival se mit à rire.
-          Ce n’est pas toi, le chat, Xyla ! cria-t-elle en direction de la druidesse. Tu es juste la souris !
Au bout du couloir, Xyla se retrouva dans une petite pièce sombre et circulaire, qui sentait le renfermé et la crasse. Prise de panique, elle se mit à courir dans tous les coins, pour trouver une sortie. Elle entendait les pas assurés de Sinival, qui lui bloquait le chemin, le piégeant dans ce recoin des égouts. Elle sentit soudain une légère brise d’air plus frais, sur sa droite. « La sortie ! », pensa-t-elle en s’engouffrant dans le tunnel. Sinival eut le temps de voir par où la druidesse s’était échappée et la coursa à toute vitesse.
-          Tu ne m’échapperas pas, cette fois ! cria-t-elle. C’est un cul-de-sac !
Et de fait, Xyla se retrouva au bout du tunnel, qui débouchait sur l’extérieur, en-dessous du rocher, au-dessus du vide… L’adrénaline la faisait trembler mais elle savait ce qu’elle avait à faire : sauter ! Sinival la vit se transformer en oiseau et fonça de plus belle dans sa direction.
-          Ah non ! Ca s’arrête ici pour toi ! hurla-t-elle en se jetant sur Xyla.
La druidesse réussit à dégager ses ailes de l’emprise de Sinival, qui s’accrochait à elle comme une sangsue. Elle battit des ailes tant bien que mal mais le poids était bien trop lourd et elles s’approchaient rapidement du sol.
La neige qui recouvrait le sol de la forêt amortit partiellement la chute, qui fut malgré tout violente. Sinival était sonnée et prit plusieurs minutes pour comprendre où elle était. Elle pesta en remarquant que dans la chute, elle avait perdu sa dague. En regardant autour d’elle, elle ne trouva pas Xyla. Elle était certaine de l’avoir aussi vue s’écraser au sol, il était impossible qu’elle ait pu s’envoler sans qu’elle l’ait remarqué.
-          Où est cette maudite vache ? marmonna-t-elle en sillonnant le bois.
Ses pas faisaient craquer la neige fraîche, ce qui lui donna l’idée de chercher les empreintes de la taurène. Elle finit par trouver l’endroit où Xyla avait atterri et les traces de sabots qui s’en éloignaient. Sinival eut un sourire satisfait et se mit à suivre la trace de sa proie, les yeux rivés au sol. Elle fut surprise de voir les traces s’arrêter juste devant un arbre, pour ne repartir nulle part. Sinival contourna l’arbre pour voir si les traces n’y continuaient pas. Mais à l’instant où elle se retrouva de l’autre côté du tronc, elle fut heurtée par quelque chose et s’effondra au sol.
-          Qu’est-ce que … ?
Sinival regarda autour d’elle. Elle traquait les moindres mouvements, le moindre signe de vie. Mais seul le vent faisait danser doucement le feuillage des arbres alentours. Avec une pointe d’hésitation, elle se releva pour se remettre à la recherche de Xyla mais fut à nouveau assénée d’un puissant coup sur la tête.
-          Bordel ! C’est quoi ce truc ? hurla-t-elle en se tenant le crâne qui lui lançait douloureusement jusqu’à la nuque.
Sinival fit plusieurs tours sur elle-même. Sa respiration était devenue saccadée et son visage avait des traits de démente.
-          Tu utilises une autre magie ? dit-elle tout haut. Tu ne me fais pas peur ! Moi aussi, je maîtrise d’autres magies !
L’elfe de sang posa une main sur le sol et transforma la neige en glace, dans un rayon de plusieurs mètres autour d’elle. La glace se mit ensuite à grimper sur tout ce qui dépassait du sol : plantes, rochers, arbres, …
Xyla finit par émettre un cri de douleur et elle bougea de sa place, se rendant désormais visible aux yeux de Sinival, qui ne put s’empêcher d’être étonnée de la performance de son adversaire.
-          Un arbre, maintenant ! J’aurai vraiment tout vu avec toi !
Xyla essayait de se mouvoir sur la glace avec ses racines, ce qui fit rire Sinival.
-          Bon ! Passons aux choses sérieuses, dit-elle en lançant une gerbe de glace vers Xyla, qui la reçut de plein fouet.

Xyla fut étonnée de constater que la glace que Sinival lui avait envoyée ne lui avait absolument rien fait. Elle sentit la confiance la gagner à nouveau et pensa à Lavinis, ce qui lui donna encore du courage.
-          Tu ne peux plus rien contre moi ! annonça Xyla. Va-t-en et rends-moi Lavnis !
-          Je n’ai pas dit mon dernier mot !
Sinival lança une nouvelle offensive de glace, suivie d’une autre et encore une. Elle enchaîna comme ça pendant près d’une minute et s’arrêta quand elle n’y vit plus rien, par les retombées de fins cristaux éclatés. Essoufflée mais satisfaite, elle s’avança à l’aveugle dans l’épaisse brume de cristaux de glace. Mais à sa plus grande surprise, elle fut à nouveau percutée par une branche et se retrouva à terre.
-          Comment ? C’est impossible !
Xyla se tenait toujours droite et ne semblait pas avoir été affectée le moins du monde par les attaques de Sinival.
L’elfe de sang sentit son calme la quitter. Nerveusement, elle regarda autour d’elle, pour trouver une autre issue. En aval du bois, elle aperçut un petit temple éclairé. Elle se releva d’un bond – évitant l’abattement d’une autre branche sur elle – et s’encourut vers le temple.
Décidée à en venir à bout, Xyla se mit à la poursuivre, en essayant de ne pas s’emmêler les racines. Xyla s’arrêta à l’entrée du temple dans lequel Sinival s’était engouffrée et inspecta les lieux. Pourquoi s’était-elle encourue jusqu’ici ? Avait-elle décidé de laisser tomber ? Allait-elle délivrer Lavinis ? Xyla vit enfin une ombre revenir vers elle. Elle sentit son cœur s’emballer, dans l’espoir de revoir enfin son amie. Mais sa sève se figea quand elle comprit ce que Sinival était venue faire dans ce temple : prendre une torche allumée.
-          Ma glace ne peut peut-être rien contre toi… Mais le feu consume le bois ! clama-t-elle.
Sinival lança la torche enflammée en direction de Xyla, qui était trop surprise pour esquiver le coup et commença à s’enflammer. Prise de panique, elle se mit à courir dans tous les sens, en espérant que ça puisse éteindre le foyer.
L’elfe de sang se mit à rire comme une folle, en voyant Xyla se battre contre le feu qui prenait dans son feuillage. La taurène hurlait de douleur à mesure que le feu gagnait sur son écorce. Sinival ferma les yeux pour savourer sa future victoire. Elle entendit alors, parmi les cris de Xyla, une détonation et sentit une douleur fulgurante lui traverser le dos et la poitrine, juste sous la clavicule droite.
Elle se retourna et vit une taurène noire avec un loup gris à ses côtés. Le fusil de cette dernière était encore fumant et braqué dans sa direction. Sinival s’effondra à terre, dans un bruit sourd.

*  *  *
Ikhé et Vangelis se jetèrent immédiatement sur Xyla, pour la faire basculer dans la neige et éteindre le feu.
-          Vangelis ? Tu es revenue ! dit Xyla, émue par le sauvetage de la chasseresse.
-          Je me bats contre le Fléau ! C’est mon unique objectif, lança Vangelis.
Satisfaite de voir que le feu s’était totalement éteint et que Xyla avait reprit sa forme taurène, Vangelis se retourna vers le corps de Sinival. Mais à l’endroit où l’elfe s’était effondrée, quelques minutes plus tôt, il ne résidait qu’une grande tache de sang noir.
-          Merde ! dit Vangelis.