23/09/2010

A la recherche d'Ikhé

A la recherche d’Ikhé


Alors que l’hiver touchait à sa fin, Lavinis et Xyla arrivèrent au sud des Tarides, devant une fabrication étrange gardée par deux taurens à l’air peu commode.
-          Tu es sure qu’il y a beaucoup de loups ici ? redemanda Xyla pour la centième fois.
-          A ce qu’on m’a dit ; des gros loups tout bruns, tout moches et tout puants, qui ricanent en mangeant leurs proies.
Xyla frissonna. La description de ces loups ne ressemblait absolument pas à celle d’Ikhé. Mais elle faisait confiance à Lavinis qui la mènerait à son but, il n’y avait aucun doute là-dessus. Elle sortit de sa poche un bout de parchemin froissé et le déplia sous le nez de Lavinis.
-          Il ressemble à ça, dit-elle en pointant fièrement son dessin.
-          Il … il est bleu, ton loup !
-          Non, il est pas bleu, c’est du gris !
-          Et à côté, c’est quoi, les boules bleues ?
-          C’est moi ! Mais je ne suis pas bleue, je suis blanche !
-          Et pourquoi il marche sur l’eau, ton loup ?
-          C’est pas de l’eau, c’est de l’herbe !
Vexée, Xyla replia son dessin et le rangea dans sa poche. Lavinis ne comprenait décidément pas l’art du dessin !

Elles s’avancèrent ensemble vers la fabrication qui semblait être un ascenseur comme on en trouvait aux Piton du Tonnerre. Sauf que celui-ci s’enfonçait dans un ravin dont on ne voyait pas le fond. Deux passerelles permettaient d’accéder aux ascenseurs. Celles-ci s’écartaient l’une de l’autre à mesure de leur éloignement du rebord, formant un V, vues du ciel. Les deux passerelles étaient séparées par une immense colonne dont le sommet était grossièrement représentatif d’une tête de tauren. Le visage et le cou du gigantesque tauren de bois étaient peints de vert, de rouge sang et de blanc, emblème de la fierté du peuple : maîtres de la Nature et de la Chasse, guidés par les Esprits.
Au-devant du géant de bois, deux gardes surveillaient les passants. L’un était un gros tauren au pelage noir et blanc. Il suivait discrètement l’approche de Lavinis et Xyla, sous son crin qui lui tombait devant les yeux. L’autre garde, posté juste derrière le premier était un monstre ! Il avait une immense tête avec de grandes cornes et de tout petits bras qu’on aurait pu confondre avec des ailes. Il ouvrait une gueule remplie de flammes. Xyla se figea en voyant le second garde qui les empêcherait surement de passer. Elle hoqueta nerveusement et répandit une flaque de lait sur ses sabots. Lavinis se retourna, ne comprenant pas ce qui avait arrêté si brusquement l’élan de sa compagne de route. Elle commençait à connaître la nature excessivement craintive et imaginative de Xyla. En regardant autour d’elle, elle reconnût au brasier qui chauffait le tauren un aspect relativement effrayant. Elle sourit. Lavinis s’avança en direction de la monstrueuse créature, sous le regard terrifié de Xyla qui secouait nerveusement la tête. Elle échangea quelques mots avec le garde qui ria de bon cœur. Lavinis leva ensuite la main vers le monstre et lui caressa la joue en se retournant vers Xyla.
-          Tu vois, il n’est pas méchant ! lui cria-t-elle.
Xyla osa un pas un avant. Le garde ria à nouveau et caressa l’autre joue du monstre. Xyla se sentit plus rassurée et avança un peu plus, jusqu’à la passerelle mais en gardant un œil attentif sur le monstre.
-          Viens vite, Lavinis, avant qu’il ne te morde ! dit-elle, morte d’angoisse.
Lavinis remercia le garde et rejoignit Xyla qui s’était avancée au plus loin sur la passerelle, histoire de distancer le monstre s’il voulait se mettre à leur poursuite.
La descente fut longue. La brume empêchait de voir loin et le vent était mordant. Lorsqu’elles passèrent sous la couche épaisse de nuages, l’air s’alourdit soudainement, malgré la saison. Leur vision s’étendit alors de roche en roche, bondissant sur la pierre ocre qui s’amoncelait en de gigantesques colonnes dont le sommet prenait sa respiration au-dessus des nuages.
Arrivées au sol, Xyla sortit un carnet et son crayon bleu et se mit à dessiner. Elle avait vu Vangelis le faire et se sentait tellement plus proche d’Ikhé en imitant la chasseresse. Lavinis quant à elle prenait ses repères. Elle scrutait le paysage stérile, écoutait attentivement et repérait déjà le peu de nourriture végétale qu’offrait la région. Elle attendit patiemment que Xyla ait finit de remplir sa feuille de bleu et ouvrit la marche, en suivant scrupuleusement le chemin balisé.
La luminosité déclina vite à l’approche du soir ; les gratte-ciels en roche plongeaient rapidement la région dans l’obscurité. Lavinis pressa le pas, le nez planté dans sa carte. Ca faisait une bonne demie heure qu’elle et Xyla tournaient en rond pour trouver un village appelé Poste de Librevent. Elles se retrouvèrent bien vite dans le noir, avec la nuit qui pointait. Xyla tenait fermement le bras de Lavinis. Pour la cinquième fois, elles passèrent au même endroit mais Lavinis remarqua quelque chose grâce à la nuit qui s’était installée : un brasier en hauteur, sur l’une des tours de roc. En s’approchant, elle remarqua un chemin resté invisible jusque là. L’allée montait étroitement vers le sommet, en s’enroulant autour de la colonne comme un serpent. Xyla ouvrit de grands yeux lorsqu’elle comprit qu’elles allaient emprunter ce chemin. Elle se jeta sur le dos de Lavinis qui avait beaucoup de mal à supporter le poids de sa propre armure, de son sac et de celui de la taurène qui venait de s’y ajouter !
-          Tu m’écrases ! réussit-elle à articuler avec peine.
-          Je monte pas si haut, moi ! Ca fait trop peur !
-          T’as qu’à te transformer en félin et planter tes griffes dans le sol ! Mais descend de mon dos, je vais m’écrouler !
Xyla exécuta l’idée qu’elle trouvait excellente ; se cramponner au sol pour ne pas glisser ! Comment avait-elle pu ne pas y penser plus tôt ?
Elles gravirent ainsi le chemin qui menait au sommet, espérant bien y trouver quelque refuge là-haut. Mais ce n’était pas le Poste de Librevent qui les attendait au sommet mais bien une passerelle faite de cordes et de planches, qui se balançait au plaisir des rafales de vent. Lavinis elle-même sembla hésiter un instant avant de se lancer sur le pont instable. Elle demanda au préalable à Xyla de maintenir sa forme la plus légère et de passer une fois qu’elle en recevrait l’ordre. Ne voyant pratiquement rien dans l’obscurité mis à part une faible lueur, Lavinis se cramponnait à l’idée de trouver un bon refuge avec un rôti de trotteur à l’autre extrémité du pont. A sa grande déception, elle ne retrouva nez-à-nez avec la roche et un chemin qui continuait l’ascension par la gauche…
Lavinis et Xyla durent recommencer trois fois le même cinéma avant d’atteindre le vrai sommet qu’était le Poste de Librevent, trois pointes rocheuses plus loin ! Le Poste était situé suffisamment en hauteur pour ne pas être embrumé et la lumière naturelle de la pleine lune dansait avec les flammes d’un grand feu allumé au milieu de la place. Sur l’aire plane qu’offrait le sommet de la vertigineuse colonne de roche, les taurens avaient érigé de nombreux grands totems comme celui qui séparait les passerelles à l’entrée de la région. Seules deux petites maisons abritaient la poignée de résidents. Une meule animée à la force du vent broyait les grains pour en faire de la farine, ce qui ajoutait un crépitement au bruit du feu.
Xyla et Lavinis entrèrent dans la plus grande des deux maisons et furent accueillies par un vieux tauren qui les regarda avec étonnement. Il était vêtu de peaux de bête usées et tenait une lanterne dans sa main droite.
-          Salutations, voyageuses. Quels vents vous mènent ?
Xyla pouffa de rire en entendant le tauren parler. « Il croit qu’on est venues en volant ! ». Lavinis sourit en constatant que la compréhension de Xyla restait quelque fois basique, ce qui créait des situations divertissantes.
-          Salutations, tauren ! Pourriez-vous offrir votre hospitalité à une elfe de sang et une taurène pour une nuit ? Nous ne vous dérangerons pas et partirons à l’aube.
Le tauren haussa des épaules.
-          A votre guise. Vous pouvez mettre votre paillasse dehors, le ciel est magnifique à regarder ce soir ! Le feu vous tiendra chaud et vous n’avez rien à craindre des prédateurs ici.
Après quoi, il s’inclina et retourna à ses occupations.

Lavinis se réveilla avec le soleil. Elle avait dormi dans le lait et la bave de Xyla qui ronflait bruyamment. D’un air dégoûté, elle alla se laver avec l’eau de pluie récoltée dans une bassine. Elle sortit quelques fruits du sac pour le déjeuné et réveilla Xyla en la secouant sans ménagement.

Elles furent rapidement prêtes à se remettre en chemin ; Lavinis bien habillée, les cheveux soigneusement tirés en une queue haute. Xyla quant à elle avait remis son armure à l’envers et son crin défait lui donnait une coupe … explosive. Elles s’avancèrent avec une pointe d’appréhension vers le pont par lequel elles étaient arrivées la veille. Le tauren qui montait la garde leur indiqua quelque chose de l’autre côté du Poste : un ascenseur.
-          Ce sera plus rapide, leur dit-il avec un clin d’œil rieur.

* * *

-          Selon les informations que j’ai reçues, on devrait trouver des loups à cet endroit précis ! annonça Lavinis, le nez toujours planté dans sa carte. « Xyla, tu veux bien arrêter de me tirer la manche, je n’arrive plus à lire ».
En relevant la tête, elle remarqua qu’elles étaient arrivées dans une sorte de canyon balayé par le vent. La poussière en suspension permanente n’offrait qu’une visibilité réduite mais on voyait très nettement des silhouettes s’approcher en ricanant. Lavinis se tint sur ses gardes.
-          Fais attention, Xyla, ils pourraient être dangereux !
Mais Xyla s’était déjà encourue dans la poussière, en criant après Ikhé. Quelques secondes lui suffirent pour revenir au galop en hurlant.
-          C’est pas des loups, ça !
Xyla avait déplacé une telle quantité de poussière en revenant vers Lavinis que les faux-loups s’y étaient perdus. Elles en profitèrent pour escalader la falaise et se mettre à l’abri des prédateurs. Lavinis était une habile grimpeuse et elle se trouva vite assez haut pour distinguer une petite grotte dans la roche. Elle y entraîna Xyla afin qu’elles puissent s’y remettre de leurs émotions.
-          C’était quoi ces affreuses bestioles, demanda Lavinis à Xyla, une fois qu’elles furent assises dans la grotte.
Une voix rauque sortit de l’ombre « C’étaient des hyènes ! ». Xyla et Lavinis sursautèrent et se retournèrent vers le fond de la grotte qu’elles croyaient inhabitée. Un vieux tauren aux cornes brisées et au pelage d’un noir passé émergea de l’obscurité. Il était entièrement vêtu de vert et portait une lourde masse en bois.
-          Je suis Dorn Traqueur-des-plaines. Vous semblez perdues mais je peux vous dire que ce que vous cherchez, vous ne le trouverez pas ici. Dirigez vous vers l’ouest et vous arriverez dans une contrée que l’on nomme Féralas.
Lavinis s’étonna de l’omniscience du tauren et Xyla le dévorait avec des yeux remplis d’admiration.
-          Merci, dit Lavinis. « Nous n’allons pas vous déranger plus longtemps ».
Elle se leva rapidement et tira Xyla qui ne détachait plus son regard de Dorn.
-          Un instant ! Je vous ai donné une information. Ce n’est pas gratuit …
Lavinis le considéra avec méfiance.
-          Nous n’avons pas d’argent, je suis désolée.
-          Je ne demande pas d’argent. Vous allez accomplir une épreuve pour moi et votre dette sera payée.
Dorn leva un bras vers le haut en soulevant une vague de poussière qui se mit à tourner rapidement autour de Lavinis et Xyla. « Ayez confiance et votre épreuve sera réussie », dit-il finalement avant de condenser le cyclone qui virevolta avec une telle intensité qu’il en devenait impossible de voir ni même de respirer.

Lavinis ouvrit les yeux péniblement. Le soleil lui brûlait la peau. Elle se redressa douloureusement et se rappela de ce qui s’était passé. Prise de panique, elle regarda autour d’elle mais hormis le ciel au-dessus d’elle et les nuages en-dessous, il n’y avait pas grand point de repère… Elle et Xyla avaient été transférée sur la plus haute pointe de la région… mais probablement aussi la plus étroite ; l’aire qu’offrait le sommet était très réduite. En balayant du regard la surface, elle remarqua une passerelle qui s’éloignait du rebord. Elle souffla de soulagement et son corps endolori se détendit de constater qu’il y avait un ascenseur.
Elle secoua Xyla qui s’était endormie et ne semblait pas s’être inquiétée des événements.

Les minutes passèrent, suivies par les heures mais l’ascenseur ne vint jamais. Le soleil commençait à décliner et Lavinis comprit que la passerelle ne pouvait servir qu’à une chose :
-          Il va falloir sauter !
Xyla la regarda avec terreur.
-          Dorn machinchose nous a dit « Ayez confiance et votre épreuve sera réussie ». Je pense qu’il faut qu’on saute depuis la passerelle.
Xyla rempa jusqu’à l’extrémité de la passerelle pour essayer de voir le sol. Deux secondes lui suffirent pour revenir tachée de lait vers Lavinis.
-          Je saute pas ! Je vais me transformer en oiseau !
-          Ne sois pas idiote ! Aucun maître ne t’a encore appris à faire ça ! rétorqua Lavinis. « Prépare-toi à sauter plutôt ! ».
Mais Xyla s’était bien mis en tête de s’envoler plutôt que de tomber comme une vulgaire pierre. Elle agitait ses bras dans tous les sens en tournant en rond. Elle fut suffisamment convaincante pour transformer un doigt en une plume. Avec fierté, elle s’avança vers Lavinis en montrant sa première plume.
-          On devrait y arriver ! dit-elle avec conviction.
Lavinis jeta un regard dubitatif à la plume et accrocha plus fermement son sac sur son dos.
-          Moi, je saute !
-          NOOOOOON ! hurla Xyla en se jetant sur Lavinis qui fut déséquilibrée et bascula dans le vide, avec la taurène fermement accrochée à elle.
La chute fut très rapide car à peine eurent-elles touché les nuages qu’elles se retrouvèrent déposées au sol en douceur.

Xyla lâcha prise et ouvrit les yeux.
-          J’ai réussi ! Je nous ai fait voler !
Elle embrassa sa plume et afficha un sourire satisfait à Lavinis.

* * *

-          Hey, vous deux là !
Lavinis et Xyla avaient à peine eu le temps de se remettre de leurs émotions qu’elles se faisaient interpeler par un petit être vert, aux traits grossiers, aux longues oreilles pointues et au regard vivement intelligent. Il s’avançait vers elles d’un pas rapide et nerveux, comme si le temps qu’il dépensait à ce déplacement lui eût coûté de l’argent.
Lavinis s’inclina en noble elfe de sang.
-          Salutations …
-          Wizlo, mon nom est Wizlo.
Xyla le dévora des yeux. C’était la première fois qu’elle voyait un être aussi petit et doué de parole. Elle laissa couler un filet de bave tant elle était absorbée par son observation.
-          Vous n’avez jamais vu de gobelin de votre vie, taurène ?
Xyla lui sourit bêtement en secouant la tête, peu sure d’avoir compris ce qu’il venait de lui dire.
Wizlo se tourna vers Lavinis qui lui semblait être plus civilisée et apte à comprendre sa requête.
-          Je vous ai vues accomplir l’épreuve de la foi ! Je serais ravi que vous utilisiez votre courage pour faire une petite chose – trois fois rien – pour moi… En échange de quelques pièces sonnantes et trébuchantes, cela va de soi !
Lavinis considéra le gobelin un instant. Il semblait sournois et elle redoutait un certain danger derrière ce « trois fois rien ». Mais l’argent lui faisait cruellement défaut depuis qu’elle voyageait avec Xyla.
-          Très bien, j’accepte.
Wizlo étira un large sourire sur son visage.
-          Il me faut de l’eau du puits de Thalanaar. C’est un peu plus à l’ouest, en se dirigeant vers Féralas. Vous ne pourrez pas le louper, c’est un puits tout brillant.
-          C’est tout ? Pourquoi vous ne le faites pas vous-même ?
-          Hum, c’est que j’ai des choses à faire moi ! Le temps, c’est de l’argent. Rapportez-moi une fiole de cette eau et je vous récompenserai.
Sur ce, il tourna les talons et s’éloigna d’un pas un peu plus rapide qu’à la venue.
Lavinis se tourna vers Xyla qui terminait de dessiner un gobelin tout bleu dans son carnet.
-          Les gobelins sont toujours verts, Xyla !
-          Mais… c’est du vert !

Le chemin qui courrait à l’ouest était assez sinueux, avec de nombreux méandres et bosses qui empêchaient de voir loin. Finalement, elles arrivèrent à l’orée de l’épaisse forêt de Féralas. Devant elles se dressait un poteau en bois, surmonté de flèches indiquant diverses directions. Lavinis lut « Thalanaar » sur la flèche dirigée à leur gauche. En regardant dans cette direction, elle aperçut le puits, comme l’avait dit Wizlo.
L’aura que dégageait l’endroit fit naître un certain doute en Lavinis. Etait-ce réellement sans danger ? Le puits était magnifique ; embrassé par de grosses pierres arrondies et sculptées de symboles qui semblaient être de l’elfique ancien. L’eau contenue dans le puits brillait d’une puissance étincelante. Des perles lumineuses remontaient lentement vers le ciel, en dansant doucement, sans bruit. Seul le vent dans l’herbe alentours donnait un certain rythme à ce spectacle.
En reconnaissant le puits, Xyla fonça avec une fiole à la main. Lavinis la suivit, impatiente d’en avoir fini avec le gobelin. Peut-être que l’éclat de l’eau les avait aveuglées mais elles ne virent les elfes de la nuit qui gardaient le puits qu’au moment où elles se trouvèrent mélangées à eux. Dans un cri de panique, Lavinis et Xyla firent demi-tour, les elfes de la nuit à leurs trousses. Elles foncèrent droit vers un buisson qui avait poussé maladroitement sur la roche sèche et irrégulière. A leur grand soulagement, les elfes de la nuit avaient vite abandonné leur poursuite pour retourner à la surveillance du puits.
-          Je me suis assise sur un truc tout dur, dit Xyla.
-          Laisse-moi deviner, c’est de la roche ?
-          Non, c’est carré et pointu, ça fait mal !
-          Montre !
Xyla s’écarta tout en essayant de rester cachée derrière le buisson, tant elle avait eu peur. Lavinis découvrit avec étonnement une étrange boîte métallique. La rouille était témoin de l’âge avancé du modèle et les leviers, manivelles et autres boutons avaient perdus leurs annotations. Lavinis fut absorbée par une telle machinerie. Elle appuya sur un bouton mais de toute évidence, le système avait lui aussi fait son temps. Soulagée de pouvoir analyser l’engin sans risque, Lavinis se mit à tourner quelques manivelles, à bouger les aiguilles des compteurs, à appuyer sur les autres boutons, pour son contentement personnel. Satisfaite de son amusement, elle observa la machine. A droite, elle vit un petit levier qu’elle n’avait pas encore touché. Elle le tira vers elle et la machine réagit soudainement avec un crissement aigu et usé. La paroi droite de la boîte s’ouvrit et un petit robot en sortit, dans un grincement de rouages mal entretenus. Xyla sursauta en voyant le robot qui faisait à peine la taille de son sabot. Elle s’en rapprocha pour l’observer de plus près et ria aux éclats. Il semblait beaucoup l’amuser. Lavinis la regarda avec un certain sourire nostalgique puis revint à son occupation ; comment aller puiser l’eau de ce maudit puits ?
Les minutes passèrent, suivies par les heures mais Lavinis ne trouvait pas de solution au problème. Du coin de l’oreille, elle entendait Xyla s’amuser  avec son nouvel ami métallique. Assis ! Couché ! Danse ! Lavinis tenta de se concentrer au mieux sur ses pensées mais les rires de Xyla cognaient dans sa tête et réduisaient à néant toute idée naissante.
-          Tu veux bien arrêter ton cirque ? J’essaye de penser, moi !
-          Mais, il est drôle ! Il fait tout ce que je lui dis de faire.
Lavinis retourna dans sa méditation en rechignant « il fait tout ce que je lui dit de faire », « elle ferait mieux de réfléchir aussi », « bon, il faut que je trouve une astuce ». Assis ! Pas bouger !
Ces derniers mots vinrent éclairer les idées de Lavinis. La solution leur était toute offerte !
-          Robot, tu veux bien aller chercher de l’eau pour moi ?
Xyla regarda Lavinis avec un air interloqué.
-          Mais … à qui tu parles ?
-          A ton robot !
-          C’est pas un robot ! Il s’appelle Kolzy !
-          … Bien… Kolzy, tu veux aller me chercher de l’eau ?
Le robot se tourna vers Lavinis et secoua sa tête métallique, éjectant un boulon au passage.
-          Demande-lui toi-même, dit Lavinis à Xyla, en râlant.
-          Kolzynouchéri, tu veux bien aller remplir la fiole dans le puits brillant, là-bas ?
Xyla tendit la fiole au robot qui s’exécuta immédiatement. Dans un petit bruit grinçant, il se dirigea vers le puits.
Lavinis et Xyla retinrent leur souffle jusqu’à ce que le robot atteigne la zone de surveillance autour du puits. Les elfes de la nuit observèrent curieusement l’assemblage de métal animé mais ne semblèrent pas plus s’alarmer. En voyant Kolzy revenir triomphant, une fiole d’eau remplie au bout de sa pince, Xyla respira à nouveau. Lavinis se sentit également fort soulagée car elle aurait été incapable de trouver une meilleure idée.

La nuit venait de tomber lorsqu’elles se remirent en marche pour rendre la fiole d’eau à Wizlo. Xyla avait tressé une laisse avec les poils de sa crinière, pour garder Kolzy près d’elle. Le robot, quant à lui, se laissait guider avec grande satisfaction. De temps à autres, il émettait un sifflement ou un « bip » sonore, et Xyla lui répondait avec le même accent, au grand damne de Lavinis qui se demanda combien de temps elle devrait supporter cela.
-          Je crois que le campement doit se trouver un peu plus à droite, annonça Lavinis au bout d’un moment de marche dans le noir.
-          Non, c’est trop sombre par-là, ça doit être plus loin ! répondit Xyla avec terreur.
-          Tu n’es vraiment qu’une trouillarde ! Comment comptes-tu un jour entrer dans la cour des grands avec une telle mentalité ?
-          La cour des grands ?
-          Oui, enfin, je veux dire le grand monde …
-          Il y a un autre monde ?
Lavinis mordit sa carte pour tenter de se détendre.
-          Oublie ce que je viens de dire et suis-moi, on va à droite !
-          C’est pas par là ! répéta Xyla en se recroquvillant. Elle s’arrêta soudain de trembler et se redressa en sentant l’air par intermittence. « Tu sens ? »
Lavinis huma l’air.
-          Ca sent la poussière…
-          Non, l’autre odeur… Ca sent … la viène !
-          La viène ?!
-          Oui, le truc que nous a dit le gros tauren tout vert !
-          Je ne comprends rien à ton charabia. Si tu voulais bien avancer maintenant.
-          Non ! Il y a des viènes, je les sens ! Ca pue !
Lavinis voulut couper court au délire de Xyla mais du fond du couloir étroit et sombre créé par les hautes colonnes de roches, un hurlement lui glaça le sang. Elle se retourna lentement et vit avec effroi trois paires d’yeux rouges qui l’observaient. Des ricanements s’élevèrent.
-          DES HYENES ! hurla Lavinis.
Elle n’eut pas le temps de sortir son arme que la hyène la plus massive s’était déjà jetée sur elle, la gueule grande ouverte. Elle enfonça ses crocs pointus dans le flanc de Lavinis qui tourna sur elle-même en frappant la bête qui s’agrippait furieusement à elle. Les deux autres tentaient de la faire chuter en lui mordant les mollets.
-          Xyla, fais quelque chose !
Instinctivement, en voyant Lavinis se faire attaquer, Xyla s’était transformée en félin. Elle accourut à toute vitesse en bondit sur la hyène qui s’attaquait à Lavinis. Dans un rugissement féroce, elle griffa de toutes ses forces la bête qui glapit en lâchant sa prise. Xyla ne lui donna pas le temps de se relever et lui envoya un autre coup de griffes. La hyène gronda et rendit un coup de mâchoire bien placé à Xyla qui sentit sa colère grimper et se métamorphosa sans difficulté en un ours massif. Les trois bêtes prirent peur à la vue de l’animal trois fois plus gros qu’elles et s’encoururent sans demander leur reste, la queue entre les pattes.

Lavinis n’en revenait pas de la démonstration de courage et de force dont Xyla venait de faire preuve. Elle voulut rire de soulagement mais une douleur pointue aux côtes la fit gémir. Xyla s’approcha d’elle, terriblement inquiète. Sa rage descendue, elle avait naturellement retrouvé sa forme taurène.
-          Lavinis, ça ne va pas ?
-          Si si, ce n’est pas grand chose, ne t’inquiète pas pour moi. Allons remettre cette fiole d’eau.
Elles remontèrent silencieusement le chemin jusqu’au campement qu’elles repérèrent grâce à la lueur du feu.
-          Je t’avais dit qu’il y avait des viènes… osa finalement Xyla.
-          Des hyènes, Xyla… des hyènes.
Lavinis sourit douloureusement, en se tenant les côtes.

Après avoir remis l’eau à Wizlo, qui les récompensa généréusement, elles se mirent définitivement en marche vers Féralas. Xyla chantait à tue-tête en pensant à Ikhé qu’elle espérait retrouver dans la contrée qu’elles approchaient, ce qui rassurait Lavinis tant le chant de la taurène était horrible. Elle était sure que jusqu’à ce que Xyla s’arrête de chanter, elles seraient en sécurité…