11/09/2010

Nouveau départ

Nouveau départ


Xyla se réveilla en pleine nuit, après avoir entendu un cri. En sueurs, elle se leva de son lit et se dirigea vers la fenêtre de sa chambre. Dans le noir épais, elle tenta de scruter d’où aurait pu provenir ce cri. Il venait de lui déchirer les tympans, elle en était tellement sure !
Une main légère se posa sur son épaule mais elle ne s’en saisit pas. Elle restait stoïque car cela faisait maintenant une semaine que toutes les nuits, c’était le même scénario qui se déroulait. Des larmes perlèrent alors sur son museau humide.
-      Retourne te coucher, Xyla, dit Lavinis, en gardant sa main sur l’épaule de son amie.
-      Je l’ai entendu, tu sais … J’en suis sure !
-      Non Xyla … Il n’y avait rien.
Xyla sentit ses mots se bloquer en masse dans sa gorge et former un nœud douloureux.
-      Je voudrais que Malevih soit là, réussit-elle à articuler.
-      C’est impossible et tu le sais, lui répondit calmement Lavinis. Retourne te coucher à présent !
Xyla s’éloigna de la fenêtre pour regagner son lit.
-      C’est ma faute, marmonna-t-elle, avant de se glisser sous ses draps.

* * *

Xyla et Lavinis étaient restées au village d’Ombrelune, après la mort de Malevih. L’atmosphère qui régnait dans cette contrée éloignée de l’Outreterre n’aidait pas au moral de Xyla, qui s’effondrait un peu plus chaque jour. Elle passait ses journées assise sur le pont qu’elle avait traversé avec Malevih, avant qu’ils ne s’éloignent vers le danger. Sans ciller, elle regardait l’horizon, en espérant le voir apparaître et dire « j’ai gagné la partie de cache-cache ? ». Lavinis restait impuissante face à la tristesse profonde de Xyla. Par tous les moyens, elle avait tenté de la réconforter mais Xyla ne voulait rien entendre. Il ne s’agissait pas d’un petit robot grinçant cette fois…
Au bout du huitième jour, Lavinis décida de prendre les devants. Prenant son courage à deux mains, elle alla trouver le maître de vol du village, pour lui louer une wyverne. Elle revêtit une paire de gants en cuir, des lunettes de vol et alla trouver Xyla, avec sa wyverne.
-      Tu viens faire un tour dans les airs avec moi ? demanda Lavinis, non sans une touche d’incertitude.
-      Je ne sais pas voler, répondit mollement Xyla.
-      Mais si, tu sais voler, tu l’as déjà fait !
-      Je ne sais plus comment faire, soupira Xyla en se repliant un peu plus sur elle-même.
-      Je peux peut-être te montrer ? proposa gentiment Lavinis.
Xyla releva la tête et considéra Lavinis un instant.
-      Vas-y, je te regarde.
Peu sûre d’elle mais déterminée à sortir Xyla de son apathie, Lavinis grimpa sur sa wyverne, qui avait attendu sagement derrière elle. L’animal semblait assez docile, ce qui mit Lavinis un peu plus en confiance. Elle serra les rênes et donna un petit coup de talon dans les flancs de la wyverne qui s’envola aussi sec. Lavinis se retint d’hurler, pour maintenir l’effet recherché auprès de Xyla. Elle serra les jambes, les rênes et les dents et survola le village, sous le regard attentif de son amie. Au moins, elle avait déjà la satisfaction d’avoir pu capter l’attention de Xyla, qui ne semblait pas la lâcher des yeux. Lavinis se maintint dans les airs plusieurs minutes avant de redescendre. L’adrénaline qu’elle avait accumulée en vol fit tant trembler ses jambes qu’elle s’effondra, dès qu’elle fut au sol. Xyla vint la rejoindre immédiatement et se pencha sur elle.
-      Tout va bien ? s’inquiéta-t-elle.
-      Oui, oui, mes jambes m’ont juste lâchée…, répondit Lavinis, assez amusée.
Xyla s’accroupit à côté de Lavinis pour lui prendre la main et l’aider à se relever. Xyla ne s’était peut-être pas envolée mais Lavinis avait le cœur beaucoup plus léger car elle avait fait sourire son amie.

Le soir venu, Xyla quitta le pont plus tôt qu’à son habitude et alla retrouver Lavinis.
-      Rentrons chez-nous ! annonça-t-elle.
Lavinis manqua de s’étrangler.
-      Tu peux répéter ?
-      Je veux rentrer en Mulgore, je veux m’en aller de ces terres que je hais par-dessus tout !
-      Mais hier encore, tu disais que tu voulais…
-      Ca n’a plus d’importance, coupa Xyla. Je ne veux plus rester ici. Ca me rappelle de trop mauvaises choses et je veux m’en éloigner. Rentrons, Lavinis !
-      Très bien, je vais préparer nos affaires et nous partons.

Leur retour se fit par les airs. Xyla voulait quitter cet endroit le plus vite possible donc elles empruntèrent toutes deux une wyverne au maître de vol du village d’Ombrelune. Elles arrivèrent à la Porte des Ténèbres au bout de deux heures.
-      J’avais oublié à quel point elle était impressionnante, dit Lavinis en observant une dernière fois la Porte.
-      Vous désertez ? demanda un orc vêtu d’une épaisse cuirasse.
-      Je pense qu’on a donné à ce bout de terre brûlé bien plus qu’on aurait dû, répondit tristement Lavinis.
L’orc prit un air grave.
-      Cela fait malheureusement partie de la gloire…

Lavinis et Xyla traversèrent la Porte des Ténèbres, tournant définitivement le dos à ce monde ingrat.

* * *

Après trois jours de voyage, Xyla et Lavinis arrivèrent à Fossoyeuse, la capitale des réprouvés. Par cette soirée d’automne, les murs froids de la ville, morte depuis longtemps, firent frissonner Xyla.
Elle regardait nerveusement les anciens dessins qui devaient autrefois orner les murs et qui, à présent, étaient griffés par l’usure. L’inquiétude de Xyla n’échappa pas à Lavinis.
-      Tu n’as rien à craindre, ici, dit Lavinis pour rassurer Xyla.
-      Tout a l’air si désert…
-      La vraie ville n’est pas ici mais dans les sous-sols. Attends, tu vas voir !
Après avoir emprunté de nombreux couloirs, elles débouchèrent sur un petit tunnel fait de pierres grises et usées par le temps.
-      Je ne vois rien du tout, dit Xyla lorsqu’elles furent arrivées face au mur qui terminait le tunnel.
Lavinis sourit et prit un air décontracté.
-      Attends de voir ça !
Elle posa ses deux mains bien à plat sur une des pierres du mur et força tout son poids dessus. Un grincement se fit entendre et la pierre bougea pour s’enfoncer dans le mur. Xyla vit alors le fond du tunnel trembler et gronder. Le mur qui semblait juste avant leur barrer le passage se dégagea, dans un épais nuage de poussière.
-      C’est génial, non ? cria Lavinis, pour couvrir le bruit du passage qui s’ouvrait.
-      Ca me fait peur…
-      Viens, tu n’as rien à craindre, répondit Lavinis en prenant Xyla par la main.
Derrière le mur qui venait de s’ouvrir se tenait une plateforme grossièrement sculptée dans la pierre et décorée d’une touche de vert assez inquiétant.
-      Et maintenant ? demanda Xyla, lorsqu’elles furent sur la plateforme.
-      Maintenant, on descend !
A peine Lavinis eut-elle finit sa phrase que la plateforme se mit en branle et le mur se referma, les laissant dans une petite pièce circulaire. Le plafond se mit à s’éloigner, de plus en plus vite jusqu’à devenir trop sombre pour être perçu. Un grand bruit fit alors savoir à Lavinis qu’elles étaient arrivées à bon port. Une partie du mur qui les encerclait se mit à bouger pour leur ouvrir un passage vers un nouveau tunnel sombre.
-      C’est encore loin ? demanda Xyla, sur un ton indécis.
-      On y est ! annonça Lavinis. Je te présente Fossoyeuse !
Quelques sons de voix s’élevèrent alors du fond du tunnel, qui tournait en angle droit vers la gauche. Xyla remarqua les torches accrochées aux murs, et les grandes ombres qu’elles projetaient. Elle se décida enfin à quitter la plateforme pour rejoindre Lavinis dans le tunnel.

Fossoyeuse avait pour Xyla quelque chose de lugubre et d’inquiétant mais de rassurant à la fois. C’était la première fois qu’elle allait enfin pouvoir se reposer depuis leur arrivée en Azeroth. Lavinis se rendit immédiatement à la banque de la ville, qui était située en son cœur. Une réprouvée à l’allure hystérique lui fit accueil.
-      Votre clé, je vous prie, dit-elle d’une voix nasillarde.
-      Un petit instant, je la récupère…
Lavinis enleva sa botte gauche et plongea sa main dedans pour en ressortir une minuscule clé en or, qu’elle tendit à la banquière.
-      Vous souhaitez retirer combien ?
-      La totalité, répondit Lavinis.
La réprouvée eut un sursaut qui lui fit perdre un œil. D’un geste vif, elle le rattrapa et l’enfonça dans son orbite.
-      Je vais vous chercher cela, alors.
-      Tu as de l’argent ici ? demanda Xyla.
-      Oui, je suis souvent passée par Fossoyeuse quand j’étais plus jeune.
-      Tu as grandi ici ?
-      Non, pas vraiment, répondit Lavinis sur un ton traînant.
Elle observa la voûte qui s’élevait au-dessus de la banque et soupira un instant.
-      Quand je suis partie pour m’entraîner, je suis restée plusieurs mois ici, expliqua Lavinis.
-      Tu es partie quand ?
-      Très jeune… Trop jeune…
Lavinis marqua une pause que Xyla n’osa pas rompre avec ses questions. La réprouvée revint avec une grosse bourse remplie de pièces d’or.
-      Il faut signer ce reçu, dit-elle en tendant la bourse à Lavinis.
-      C’est nouveau ça ?
-      Depuis la Peste, tout le monde est plus méfiant, ça vaut aussi pour les banques !
-      La peste ? Qu…quelle peste ? demanda Lavinis avec inquiétude.
-      Bah, vous avez vécu dans une grotte ou quoi ?
-      Moi, oui ! répondit fièrement Xyla.
La réprouvée jeta un coup d’œil méfiant à Xyla puis reposa son attention sur sa cliente.
-      Nous étions en mission loin d’ici, je ne suis pas au courant d’une quelconque peste, répondit Lavinis en signant le reçu.
-      Bah z’avez rien raté sinon la mort de milliers d’innocents.
-      Elle a frappé où, cette peste ?
-      Partout, ma petite ! Quoique… Fossoyeuse a été assez épargnée… Ah oui, j’oubliais qu’on était déjà tous morts ici !
La réprouvé éclata de rire, reprit le reçu signé et s’en alla, laissant Lavinis avec ses questions.
-      Qu’est-ce qu’elle a voulu dire, demanda Xyla qui n’avait rien compris.
-      Il s’est passé quelque chose de grave durant notre absence…
Lavinis se plongea dans ses pensées, en se mordant la lèvre inférieure. Elle semblait très tracassée par cette nouvelle.
-      Il faut qu’on aille à Lune d’Argent, dit-elle finalement, en détachant chaque syllabe.
-      Tu as de l’or là-bas aussi ? demanda naïvement Xyla.
-      De l’or oui… mais aussi mes parents. Je veux m’assurer qu’ils sont sains et saufs !

* * *

Dans une des pièces des ruines de l’ancienne ville qui recouvrait Fossoyeuse se trouvait un immense orbe brillant. Les mages de Lune d’Argent l’avaient fait placer à cet endroit lors de leur alliance avec la Horde, gage de paix et de loyauté. Le passage entre les deux villes était ainsi rendu beaucoup plus aisé et évitait surtout de traverser des terres dévastées par la mort.
Lavinis emmena Xyla à l’orbe, pour le transfert.
-      Tu poses juste ta main dessus et la magie de mon peuple fera le reste, expliqua Lavinis.
Xyla s’exécuta immédiatement. Elle avait toujours rêvé de rencontrer d’autres elfes de sang car jusqu’à ce jour, Lavinis était la seule représentante de ce peuple qu’elle connaissait. Etaient-ils aussi fort qu’elle ? Aussi gracieux et intelligents ? L’orbe commença à chauffer et Xyla se sentit aspirée à l’intérieur de l’objet. Tout devint rosé autour d’elle et une étrange chaleur la transportait. Cette agréable sensation ne dura que quelques secondes et Xyla se retrouva à nouveau face à l’orbe.
-      Ca n’a pas marché, Lav…
Xyla s’était retournée mais Lavinis n’était plus là. Tout autour d’elle, le décor s’était complètement métamorphosé. Plus de vieilles pierres grises et poussiéreuses, de toiles d’araignées, de liquide verdâtre qui jonchait le sol. A la place, c’était une grande salle au plafond qui s’élevait en flèche. Des ornements et des dorures décoraient les murs et le sol. Des grands voiles d’un bleu nuit intense séparaient la salle dans laquelle Xyla se trouvait, d’une autre qui s’emblait s’ouvrir sur la ville éclairée doucement.
-      C’est beau, n’est-ce pas ? dit Lavinis, qui venait d’arriver.
-      C’est … c’est … magnifique ! répondit Xyla. Il faut que je dessine ça ! ajouta-t-elle, en s’asseyant au sol.
-      Tu feras ton dessin plus tard, rétorqua Lavinis. On a quelque chose de plus important à faire.
Lavinis quitta la pièce en toute hâte, suivie par Xyla. Elles traversèrent une bonne partie de la ville, au pas de course.
-      Lavinis… ? demanda Xyla, au bout d’un moment.
-      Mmmmh ? répondit cette dernière, concentrée sur son objectif.
-      C’est normal qu’il n’y ait personne dans ta ville ?
Lavinis s’arrêta au beau milieu de la place où elles se trouvaient. Tout était entretenu comme d’habitude. Les maisons étaient impeccables, les rues étaient nettoyées par des balais enchantés, des éclairages aux couleurs chaudes illuminaient la nuit, mais Xyla disait vrai : il n’y avait personne… alors que cette place était toujours animée, de jour comme de nuit.
-      Merde ! cria Lavinis avant de s’encourir vers une ruelle.
-      Hééé, attends-moi !
Xyla eut du mal à suivre Lavinis, qui détalait dans les rues et ruelles de la ville. Elle arriva finalement devant une maison comme les autres et s’arrêta, hors d’haleine. Lavinis écarta le voile bleu qui faisait office de porte et entra dans la maison.
-      Maman ? Papa ? hurla-t-elle. Il y a quelqu’un ?
Seul un silence pesant lui répondit.
-      Ouhouuu ? Il y a quelqu’un ?

Xyla n’avait pas osé entrer dans la maison et avait décidé d’attendre Lavinis dehors. Pour se rassurer, dans le silence de la ville, elle fit quelques pas de danse, faisant claquer ses sabots sur le pavé.
-      Psssst !
Xyla se raidit.
-      Psssst ! Toi, là-bas !
L’appel venait de la maison d’en face. Xyla s’approcha prudemment.
-      Que fais-tu ici, taurène ? demanda une voix rauque.
-      Je suis venue avec mon amie…
-      L’elfe de sang est ton amie ?
-      Oui, elle s’appelle Lavinis !
La voix se tut un instant et un elfe de sang écarta le voile de l’entrée de sa maison. Xyla fut enchantée de voir son premier elfe de sang mâle. Il était grand et svelte, habillé d’une tunique pourpre finement travaillée. Des fils dorés courraient le long du tissu rouge, faisant penser à un coucher de soleil se reflétant dans l’eau. Ses cheveux, courts et répartis en épis, étaient d’un blond très pâle.
-      Lavinis est ici ? demanda l’elfe d’une voix tremblante.
-      Oui, je viens de te le dire ! répondit Xyla. Elle est dans cette maison-là, ajouta-t-elle en montrant la maison d’en face.
-      Oh non…
-      Tu es aussi un ami de Lavinis ?
L’elfe ne répondit pas à Xyla et s’empressa d’aller rejoindre Lavinis. Il ressortit avec elle quelques minutes plus tard. Lavinis était livide et semblait boulversée. Xyla se rua sur l’elfe qui la tenait par le bras.
-      Qu’est-ce que tu lui as fait ? hurla-t-elle.
-      Ce n’est pas ma faute, répondit l’elfe, assez surpris par la réaction de Xyla.
-      Je ne l’ai jamais vue comme ça ! Qu’est-ce que tu lui as fait ?
-      Je lui dit la vérité, taurène… Lâche-moi maintenant, tu me fais mal !
-      Lâche-le Xyla, dit Lavinis, d’une voix basse.
Xyla se sentit fondre littéralement en voyant Lavinis dans un tel état. Elle la prit dans ses bras et la serra contre elle.
-      Qu’est-ce qu’il s’est passé ? demanda tristement Xyla.
-      Mes parents… La Peste

* * *

Ennas, l’elfe de sang blond qui avait annoncé la nouvelle à Lavinis, leur proposa de rester chez lui pour la fin de la nuit. Xyla accepta pour Lavinis, qui n’était plus en état de réfléchir. Il offrit une jolie chambre à ses deux invitées et retourna immédiatement près de la porte d’entrée, caché derrière le voile. Lavinis s’effondra sur le lit et s’endormit immédiatement. Xyla se redirigea vers leur hôte, intriguée par son comportement.
-      Tu attends quelqu’un ? demanda-t-elle.
-      J’aimerais bien n’attendre personne mais je dois me tenir prêt, répondit l’elfe.
-      Prêt pour quoi ?
-      Pour les morts…
-      Les morts ? répéta Xyla d’une voix aigüe.
-      La Peste ne se contente pas de tuer, elle relève aussi… Mais pas tout à fait comme avant.
-      C’est monstrueux ! Pourquoi tu restes ici ?
-      J’ai mes raisons ! répondit sèchement l’elfe.
Xyla se tut quelques secondes avant de reprendre son interrogatoire.
-      Tu t’appelles comment ?
-      Ennas.
-      Moi, c’est Xyla !
-      Très bien, Xyla, j’ai quelque chose à te demander, dit Ennas, sans quitter la rue des yeux.
-      Oui ?
-      Tais-toi ! Tu vas les attirer.
Xyla soupira et se retira dans le salon où elle s’affala dans un divan moelleux. Ennas n’utilisait que quelques faibles bougies pour éclairer la pièce principale, sans doute pour éviter d’attirer les morts. Xyla essaya de distinguer le décor de la pièce, dans la semi-obscurité. Tout était parfaitement rangé et propre. Les meubles en bois qui remplissaient la pièce étaient tous finement sculptés et ornés de gravures souples et dorées. Xyla appréciait le raffinement de ce peuple. Elle remarqua qu’il y avait aussi une cheminée, avec des traces de feu. Elle s’imagina les longues soirées qu’on pouvait passer dans cette pièce, sans doute beaucoup plus chaleureuse lorsqu’elle était éclairée par la douce lueur d’un feu. Son attention fut retenue par les cadres qui étaient disposés sur le rebord supérieur de la cheminée. Xyla s’approcha pour observer plus attentivement les photos et en découvrir un peu plus sur la vie d’Ennas. La photo centrale représentait très probablement sa famille au grand complet. A droite se tenait un elfe de sang à l’allure fière et aux cheveux blonds en épis. Il devait probablement s’agir du père d’Ennas. A gauche, sa femme, dont il tenait la taille amoureusement. Xyla la trouva particulièrement jolie et fut intriguée par la couleur flamboyante de ses cheveux, serrés en un chignon. Devant les deux adultes, trois jeunes elfes de sang ; deux filles et un garçon. Le petit avait les cheveux en bataille et blonds, comme son père. Xyla sourit en reconnaissant Ennas. Ses deux sœurs, l’une rousse et l’autre blonde étaient habillées d’une robe traditionnelle, ce qui ne semblait absolument pas plaire à sa sœur blonde, qui était la seule de la photo à ne pas sourire.
Xyla voulut en savoir plus sur cette photo et la prit pour la montrer à Ennas.
-      Comment s’appellent tes deux sœurs, demanda-t-elle à Ennas qui ne quittait toujours pas la rue des yeux.
-      Je n’ai qu’une sœur, répondit-il.
-      Ah bon ? Sur la photo, il y a deux petites elfes de sang.
-      Quelle photo ? demanda Ennas en se retournant.
Xyla lui tendit le cadre et Ennas regarda la photo comme s’il ne l’avait plus vue depuis des années.
-      L’elfe blonde n’est pas ma sœur…
-      C’est qui alors ?
-      C’est Lavinis.

* * *

La nuit se passa sans encombre, grâce à Ennas qui avait veillé pour ses deux invitées. Xyla n’osa pas réveiller Lavinis tout de suite, préférant la laisser se reposer encore un peu. Elle descendit pour rejoindre Ennas, qui avait déjà dressé une merveilleuse table pour le petit déjeuner et attendait, assis sur une chaise, en écrivant quelques notes dans un carnet aux pages jaunies.
-      Bonjour Ennas, lança Xyla. Tu ne dors jamais ?
Ennas leva les yeux et cessa d’écrire. En voyant Xyla s’approcher, il referma son carnet d’un geste vif.
-      Je dors la journée, c’est le seul moment où je suis sûr de ne rien craindre, répondit-il.
-      Dans ce cas, on partira assez tôt pour ne pas t’embêter.
-      A votre guise.
Un lourd silence s’installa, Xyla ne sachant pas si elle préférait s’assoir ou remonter dans la chambre.
-      Hum ! Je vais aller réveiller Lavinis… dit-elle enfin.

Lorsque Xyla remonta dans la chambre, le lit était vide. Lavinis s’était levée et se tenait complètement nue, face à la fenêtre.
-      Heuuu, Lavinis ? demanda Xyla.
Lavinis ne répondit pas, gardant le dos tourné à Xyla. Elle posa une main sur ses hanches gracieusement dessinées et lissa une de ses oreilles pour la courber vers le bas.
-      Lavinis ? réessaya Xyla.
-      Lavinis ? répondit cette dernière, d’une voix rauque.
-      Habille-toi, s’il te plaît. Ennas nous attend pour manger.
Lavinis se saisit soudain. Ses oreilles se redressèrent et elle se retourna vers Xyla.
-      Ennas ? dit-elle, l’air bouleversé. Ennas est ici ?
Lavinis s’afféra et tourna en rond. Elle prit finalement juste son arme sur l’épaule et passa devant Xyla pour descendre l’escalier.
-      Lavinis ! hurla Xyla.
-      Merde ! cria Lavinis, en remontant les escaliers quatre à quatre.
Xyla lui tendit ses vêtements qu’elle enfila rapidement. Son teint d’habitude rosé était devenu rouge écarlate.
-      Tu es sure que tu ne veux pas te reposer encore un peu ? demanda Xyla.
-      Non, c’est bon maintenant.

Lavinis ne prononça pas le moindre mot pendant une bonne partie du petit déjeuner, tout comme Ennas. Xyla, qui était assise entre les deux, essayait d’animer la conversation, en vain.
-      Alors, vous vous connaissez depuis que vous êtes petits ? tenta Xyla, après moult efforts vains.
-      C’est ça, répondit Ennas.
-      Vous vous entendiez bien alors ?
-      Pas vraiment… trancha Lavinis.
Xyla était désemparée. Elle était enfin arrivée à un sujet qui les faisait réagir mais malheureusement, cela semblait être un sujet épineux. Pourquoi ne s’entendaient-ils pas alors que Lavinis était sur une de leurs photos de famille ? A moins qu’ils ne se soient disputés et, qu’avec ses gros sabots, elle soit venue raviver la douleur d’antan… Mal à l’aise, Xyla préféra se taire et engloutir sa tranche de pain, espérant que Lavinis et Ennas se replongeraient dans leur silence. Mais ils n’en firent rien.
-      Est-ce donc ma faute ? rétorqua Ennas, sur la défensive.
-      Non, celle de ton père et de ses brillantes idées !
-      Mon père ? Je peux savoir ce que mon père a pu te faire pour que tu le haïsses tant ?
Lavinis explosa. Elle se leva de sa chaise et se mit à hurler des insultes dans une langue qui n’était ni du Thalassien, ni de l’Orc, ni du Taurahe. Mais de toute évidence, Ennas comprit très bien ce qu’elle venait de dire.
-      Petite peste ! Tu n’as pas changé ! lança-t-il en haussant également le ton. Finalement, je suis bien content que tu te sois enfuie !
Ces paroles touchèrent Lavinis de plein fouet, ce qui la fit se taire et se rassoir. Elle était devenue complètement livide.
-      Je… je ne me suis pas enfuie…
-      Une petite fille de 10 ans, ça joue encore avec ses poupées ! continua Ennas. Ca n’a pas de raison de partir pour s’entraîner !
-      Mes raisons étaient justifiées, répondit Lavinis, sur un ton plat. C’est pas avec toi que je voulais me marier…
Ennas resta bouche-bée, paralysé dans son mouvement. Il se tenait encore debout, immobile, avec un doigt menaçant, pointé vers Lavinis.
-      Qu’est-ce que tu as dit ? finit-il par demander.
-      Tu n’étais même pas au courant alors ?
-      Au courant de quoi ? répondit bêtement Ennas, qui était encore retourné.
-      Qu’on aurait dû se marier, tous les deux…
Lavinis détourna les yeux et rougit légèrement. Elle se sentait honteuse d’avoir ainsi insulté Ennas alors qu’il semblait n’y être pour rien dans cette histoire. Elle se mordit la lèvre inférieure en repensant à ce jour où elle avait surpris la conversation de ses parents à propos de ce mariage. Elle avait entendu ces mots, dans la bouche de son père… Il voulait la marier à Ennas, pour fusionner les richesses de leurs deux familles. Lui étant déjà un forgeron de grande renommée et le père d’Ennas, un artisan du cuir en pleine expansion dans sa carrière. Il n’avait pas pensé une seconde à la réaction de Lavinis. Elle se souvint que ce jour-là, elle s’était enfuie, en larmes, dans les bois qui bordaient Lune d’Argent. Elle aurait voulu disparaître ou faire disparaître tout le monde. Elle s’était sentie trahie… Trahie par sa propre famille, trahie par ce petit voisin blond avec qui elle partageait ses jeux. Et ce sentiment s’était bien vite transformé en de la haine envers tous ces traîtres. Mais Lavinis ne s’était pas laissée faire ; avant même qu’on lui annonce officiellement ce mariage, elle était allée trouver le Grand Magistère pour lui faire une requête peu ordinaire. Elle avait bien préparé son texte ainsi que sa présentation. Il lui fallait son accord, coûte que coûte, pour pouvoir s’en aller sans que ses parents n’aient leur mot à dire ! Ainsi, elle était partie pour ne plus revenir. Le monde l’avait considérablement changée, pendant les huit longues années qu’elle avait passées à fouler les terres de nombreuses contrées. Lorsqu’elle était revenue, elle n’était plus la même et l’univers de son peuple ne l’intéressait plus.

Elle avait laissé ses parents… Alors qu’elle aurait pu être là pour les aider. Elle avait eu cette haine envers eux pendant tout ce temps et maintenant, ils n’étaient plus là. La Peste les avait emportés. Lavinis s’en voulait tellement. Elle se revit, petite elfe de 10 ans, dans ce bois, pleurant des larmes de rage et voulant disparaître… Comme elle voulait disparaître, à présent.