10/09/2010

L'Accostage de la Vengeance

L’Accostage de la Vengeance


Lavinis et Xyla retournèrent à Fossoyeuse, directement après l’altercation avec Ennas. Xyla n’avait pas compris grand-chose, sinon qu’elle avait mis les deux sabots dans le plat. Lavinis fit un dernier saut par la maison de ses parents et ressortit habillée d’une armure étincelante. Sous le regard désabusé de Xyla, elle lui fournit tout de même une maigre explication.
-      Mon père était forgeron, je me suis servie dans sa réserve !
Xyla n’osa rien ajouter et se contenta de suivre Lavinis.
Dès qu’elles furent arrivées à Fossoyeuse, Lavinis se mit en marche, en toute hâte, vers l’extérieur de la ville. Xyla fut soulagée de se dire qu’elles allaient enfin quitter cet endroit lugubre pour retourner en Mulgore. Elles se dirigeaient vers une de ces grandes machines volantes, que les ingénieurs gobelins appelaient un zeppelin. Xyla leva les yeux au ciel pour mieux l’observer. L’immense ballon qui permettait à l’engin de voler avait des allures de guerre. Il donnait l’aspect d’un requin prêt à dévorer sa proie. Xyla fronça les sourcils, ne comprenant pas pourquoi ces réprouvés prenaient un engin de guerre pour relier Fossoyeuse et Orgrimmar.
-      Il vous reste de la place pour aller au Nord ? demanda Lavinis à un réprouvé qui se tenait devant la tour d’accès au zeppelin. Mon nom est Lavinis.
La réprouvé considéra Lavinis un instant. Il était affreusement maigre et dans un état de décomposition avancé. Sa mâchoire inférieure l’avait déserté depuis longtemps et sur sa tête, ce n’étaient pas des cheveux qui dansaient au vent mais des vers. Le réprouvé approuva de la tête, nota quelque chose dans un carnet et s’écarta pour laisser entrer Lavinis. Xyla voulut la suivre mais il se replaça devant la porte.
-      Hou hou enghahez auchi ? demanda-t-il à Xyla.
-      Quoi ?
-      Hou houhez pharhir en Nhorfendrhe ?
-      Non, moi, c’est Xyla. Je peux aller avec mon amie ?
Le réprouvé inscrivit « Xyla » dans son carnet, juste en-dessous de « Lavinis » et s’écarta pour laisser passer la taurène, qu’il jugeait étrange.

Lorsqu’elle arriva sur le zeppelin, Xyla eut beaucoup de mal à retrouver Lavinis, qui s’était noyée dans le monde prêt à embarquer.
-      Xyla, tu t’es trompée de zeppelin, dit Lavinis lorsqu’elle l’aperçut. Pour aller en Mulgore, c’est l’autre que tu dois prendre.
-      Tu ne vas pas en Mulgore ? demanda Xyla, anxieuse.
-      Non, je vais combattre le Fléau ! Tu ne dois pas venir, c’est trop dangereux !
-      Ah heuuuu … bon. On se revoit plus tard alors ! conclut Xyla, qui était devenue livide à l’idée d’aller combattre un quelconque Fléau, bien qu’elle n’avait aucune idée de ce que ça puisse être.
Xyla voulut quitter le zeppelin mais le réprouvé à la mâchoire manquante lui barra le chemin.
-      Encore vous ? dit Xyla. Je me suis trompée, je ne veux pas rester ici !
Le réprouvé lui montra son carnet avec son nom inscrit dedans. Xyla ne sembla pas comprendre ce qu’il se passait. Le réprouvé fit un geste de la main pour appeler l’orc qui se tenait quelques mètres plus loin.
-      Tu t’es enrôlée, petite ! Tu n’as plus le choix à présent, lui dit l’orc.
-      Mais pas du tout !
-      Tu t’appelles bien Xyla ?
-      Oui.
-      Ton nom est dans le registre, tu restes ! Déserter, c’est être fusillé !
Xyla fit une grimace et retourna près de Lavinis.
-      Je viens avec toi, dit-elle à Lavinis, sur un ton peu assuré.
-      Tu as intérêt à te couvrir dans ce cas… On part pour le Nord !

Le trajet sembla affreusement long pour Lavinis, qui brûlait d’impatience d’aller écraser le Fléau, en Norfendre. Elle était malgré tout tiraillée entre ce sentiment de vengeance personnelle et cette culpabilité qui la rongeait. Malgré la peine qu’elle ressentait d’avoir perdu ses parents, elle ne parvenait pas à pleurer ni à exprimer la moindre tristesse.
Exaspérée par ses idées contradictoires, Lavinis préféra s’isoler pour le reste du voyage. Elle s’enferma dans une petite cabine au sous-sol et s’assit sur un tabouret. Au-dessus d’elle, les pas anxieux des nouveaux soldats résonnaient en écho dans la petite pièce. Lavinis se prit la tête entre les mains et ferma les yeux. Ses doigts effleurèrent ses oreilles qui s’étaient affaissées.
-      Tout ça, c’est de ta faute, murmura-t-elle.
-      Ma faute ? se répondit-elle à elle-même, sur un ton hautain.
-      Si tu n’avais pas été là, je serais rentrée chez mes parents.
-      Oui, et tu aurais mené une vie de petite elfe de sang modèle, quelle joie ! se rétorqua-t-elle sarcastiquement.
-      Va-t-en, maintenant, je n’ai plus besoin de toi !
-      Que je m’en aille ? Mais tu as besoin de moi plus que jamais, Lavinis !
-      C’est faux !
-      Dans ce cas, pourquoi tu préfères t’adresser à moi dans ces moments-là, plutôt qu’à ton imbécile de vache ? dit-elle en ricanant.
-      Je t’interdis de dire du mal de Xyla !
Le silence s’installa à nouveau dans la petite pièce, martelé par les pas, à l’étage. Lavinis soupira.
-      On était quand même bien toutes les deux, dit-elle de cette voix rauque et sans émotion.
-      Ne dis pas de bêtise ! Tu as toujours voulu faire route à part !
-      Pourquoi t’aurais-je protégée pendant ces huit années ?
Lavinis se tut, ne sachant quoi répondre aux répliques irritantes de sa personne. Elle se plongea dans ses pensées, pour essayer d’oublier tout ce qu’elle venait d’entendre. C’est vrai que sans elle, elle n’aurait même pas tenu un mois loin de ses parents. Ce petit bout d’elfe, du haut de ses 10 ans, n’était malgré tout qu’une enfant qui avait besoin qu’on l’embrasse lorsqu’elle pleurait, qu’on la rassure lorsqu’elle avait peur. C’est ce qu’elle avait fait. Lavinis se sentait trop seule et trop apeurée pour continuer mais retourner à Lune d’Argent, après si peu de temps, aurait été la pire des hontes. Aussi elle s’était inventé une amie, Sinival, qui n’avait pas peur, qui savait où il fallait aller, comment se battre. Sinival n’avait pas l’aspect esthétique des elfes de sang ; ses longues oreilles n’étaient jamais droites et fières, toujours recourbées vers le bas. Ses cheveux n’étaient jamais soignés et tombaient avec raideur sur ses épaules. Son vocabulaire et ses manières laissaient à désirer mais Lavinis était tellement contente de ne plus être seule qu’elle restait avec Sinival, jours et nuits. Elle lui faisait part de ses angoisses, ses cauchemars et Sinival les prenaient pour l’en débarrasser. Reprenant confiance en elle, Lavinis s’était remise à étudier dans les livres qu’elle avait reçus. Les termes étaient compliqués mais Sinival les lui interprétait merveilleusement bien, faisant bouger sa masse avec fluidité et harmonie. Lors de ses premiers vrais combats, Sinival se contentait de conseiller Lavinis, qui manipulait sa masse avec difficultés. Mais les conseils de Sinival étaient toujours les meilleurs, ce qui amenait Lavinis à ses victoires.
A l’approche de leurs 16 ans, Lavinis et Sinival avaient commencé à se différencier plus fortement. Alors que Lavinis restait prude et réservée, Sinival mettait son corps de femme en valeur, provoquant tout mâle non aguerri. Elle papillonnait ainsi de conquête en conquête, peu lui importait la race. Lavinis voyait Sinival défiler avec des elfes de sangs mais aussi des trolls, des orcs, des taurens et mêmes des humains !
Lavinis rougit soudain en se rappelant les débauches de Sinival, lorsqu’elle ne se contentait plus des mâles uniquement et qu’elle se pavanait avec ses conquêtes femelles. Et dans l’intimité qui liait fortement Lavinis et Sinival, malgré leurs différences, c’était Sinival elle-même qui avait initié Lavinis aux plaisirs charnels.
-      Où étais-tu pendant tout ce temps, Sinival ? demanda soudain Lavinis.
-      Jamais loin…
-      Je ne t’ai plus revue depuis…
-      … depuis que tu as sauvé cette stupide vache des limons ! continua-t-elle avec amertume.
-      Je ne pouvais pas la laisser comme ça !
-      Bien sûr que si ! « Si la vache est trop stupide pour aller se fourrer dans un nid de limon, c’est qu’elle mérite de crever ! ». Ca ne te rappelle rien, Lavinis ? demanda-t-elle en serrant les dents.
-      Je ne suis toujours pas d’accord avec toi sur ce point !
-      Raison pour laquelle je me suis retirée pendant tout ce temps, aboya Sinival.
Lavinis fit la moue et marqua une pause. Le zeppelin vibra et on entendit un gobelin hurler « Accostage de la Vengeance, terminus ! ».

* * *

L’Accostage de la Vengeance était une base située en bordure de mer. Lavinis descendit de la tour où avait accosté le zeppelin et croisa Xyla en bas des escaliers. Pendant le voyage, Xyla n’avait apparemment pas perdu son temps et avait appliqué les conseils de Lavinis : elle s’était confectionné un épais manteau en fourrure de sabot-fourchu, qui la couvrait du col jusqu’aux sabots. De gros ourlets renforçaient l’épaisseur et la chaleur du manteau au niveau du cou et des poignets. Xyla fit un grand sourire à Lavinis en la voyant.
-      Il est beau, n’est-ce pas, dit-elle en tournant sur elle-même, pour que Lavinis puisse en admirer toutes les coutures.
-      Très ! répondit Lavinis, qui remarqua également les deux petits pompons bleus que Xyla avait attachés au bout de sa queue.

L’Accostage de la Vengeance était situé entre la pierre escarpée d’une falaise et une mer glacée, dont le vent mordant ne cessait de rapporter l’odeur salée, qui frappait en plein visage. Le contraste entre cette terre et les contrées du reste d’Azeroth était surprenant. Il était difficile de croire qu’elles étaient restées dans le même monde.
Après avoir suivi les nombreuses nouvelles recrues et signé le registre d’appel aux armes, Lavinis et Xyla s’éloignèrent du groupe pour respirer plus à leur aise. Sous leurs pas, les brins d’herbes gelés cassaient, répandant un chant cristallisé. Le campement était situé légèrement plus haut que le reste de la plaine qui s’étendait entre la falaise et les rochers usés par l’écume. Depuis l’endroit où elles se tenaient, elles remarquèrent tout de suite les centaines de corps qui jonchaient le sol de la plaine, parmi les arbres et les loups qui se repaissaient de cette chair gelée. Xyla et Lavinis eurent le même geste de dégoût, face à la scène peu accueillante de la région.
-      Je m’attendais à voir beaucoup de choses mais pas aussi vite… marmonna Lavinis.
-      Moi, je voulais pas venir, répondit Xyla en triturant ses pompons.
Lavinis tourna les talons et se dirigea d’un pas décidé vers le commandant de la base.
-      Je veux combattre le Fléau ! annonça-t-elle d’emblée, sans même se présenter.
Le commandant, qui était un réprouvé apparemment encore frais, esquissa un mince sourire narquois.
-      On est tous ici pour combattre le Fléau, ma jolie ! lui répondit-il.
-      Je veux être plus utile que les autres ! Donnez-moi une mission spéciale, je suis parfaitement capable de relever le défi !
Le réprouvé considéra Lavinis un instant, en se tenant la mâchoire.
-      Des missions spéciales, on n’en a pas ici… dit-il, en balançant doucement sa mâchoire. Il y a des corps à brûler, quelques loups à tuer... et j’ai déjà le monde qu’il faut pour nettoyer le sud du val.
Lavinis soutenait son regard rempli de détermination, espérant que le commandant décide de lui confier une de ses missions.
-      … cependant, continua le réprouvé en décrochant sa mâchoire et en l’inspectant minutieusement, cependant… je peux vous envoyer chez Rhonin, à la cité des mages.
-      La cité des mages ? demanda Lavinis, intriguée.
-      Dalaran, si vous préférez.
Le réprouvé raccrocha sa mâchoire et sortit une carte de sa poche, ainsi que deux cafards congelés. Il déroula la carte qui représentait Norfendre, le croissant de lune. Il pointa du doigt l’extrémité inférieure droite de la terre.
-      L’Accostage est ici et vous devriez vous rendre à peu près là, dit-il en pointant de son doigt squelettique le centre de Norfendre.
-      Mais c’est au cœur du Mal ! dit Lavinis.
-      C’est bien connu qu’on est mieux protégé quand on est près de son ennemi ! ricana le réprouvé, en voyant le visage de Lavinis perdre toute son ambition.
Lavinis jeta un coup d’œil autour d’elle pour trouver un soutien quelconque. Elle se raccrocha à Xyla qui essayait d’allumer un feu de camp avec du bois et de la glace. Puis elle repensa à ses parents, à sa ville et elle se sentit à nouveau envahie par cette colère mêlée de culpabilité. Elle se sentit embrouillée et ses oreilles s’affaissèrent.
-      Donne-moi la carte, le mort ! dit-elle d’une voix rauque.
-      Je plaisantais, ma jolie…
-      Ma jolie ? Mon corps te plaît ? dit-elle en se rapprochant du réprouvé. Mmmmh, c’est pas sûr que t’auras encore toutes les pièces qu’il faut, ajouta-t-elle en baissant les yeux d’un étage.
Elle avait commencé à ouvrir son blouson, quand Xyla arriva près d’elle et du commandant.
-      On mange de la soupe, ce soir ? demanda Xyla, d’un air réjoui.

* * *

Après avoir pris un maigre repas avec le reste des nouvelles recrues, Lavinis et Xyla se mirent immédiatement en marche. Les journées dans le nord étaient très courtes et les nuits, hantées par les morts qui dominaient les plaines, étaient d’une noirceur inquiétante. Néanmoins, Lavinis ne voulait pas perdre de temps et s’était procurée une carte de Norfendre, pour planifier leur trajet. Si elles marchaient d’un bon pas, elles atteindraient le camp Oneqwah, dans la région appelée Les Grisonnes, avant la nuit.
Lavinis et Xyla traversèrent la pleine, évitant pour le mieux les cadavres et les loups qui rôdaient autour. Elles arrivèrent à une splendide construction, qui était manœuvrée par des mécanismes ingénieux, permettant à une cabine en bois de s’élever au sommet de la falaise, grâce à un système de contrepoids. Le cliquetis métallique des chaînes qui supportaient le poids du matériel raisonnait en écho contre la paroi froide de la falaise. En levant les yeux, Xyla constata que la cabine terminait sa course dans la gueule béante d’une sculpture de dragon mais avant même d’avoir pu hésiter, Lavinis l’avait tirée dans la cabine et elles montèrent vers le sommet à toute vitesse. Le vent vint les mordre dans leur course, comme pour leur dire de rebrousser chemin. Xyla referma le col épais de sa veste en peau de sabot-fourchu alors que Lavinis restait stoïque.
-      Tu n’as pas froid ? lui demanda Xyla.
-      Je m’en fiche, j’ai d’autres choses en tête ! répondit sèchement Lavinis, en ressortant sa carte pour vérifier une dernière fois leur trajet.
La cabine s’arrêta net, manquant de faire tomber ses deux passagères. Devant elles, une lourde porte en fer s’éleva pour leur laisser le passage vers un chemin aménagé, qui parcourait la région du Fjord Hurlant. Des larges planches de bois traçaient le chemin, bordé de sculptures de dragons, auxquelles étaient accrochées des lampes à huile.
-      Décidément, ils aiment les dragons, par ici… remarqua Xyla, qui s’émerveillait de cet aménagement détaillé.
-      De quoi tu parles ? demanda Lavinis sur un ton excédé.
Xyla haussa les épaules, ne comprenant pas l’exaspération soudaine de son amie. Elle préféra continuer à scruter ce paysage nouveau, plutôt que de prêter attention à ses sautes d’humeur.
Elles longèrent d’abord un village fait de maisons en bois, allongées verticalement. De toute évidence, il ne s’agissait pas d’une installation des premières expéditions puisqu’une partie du village était en feu et un peu plus loin, raisonnaient des bruits de combat. Xyla tâcha de ne pas trop s’attarder là-dessus et alla de l’avant pour découvrir d’autres merveilles. Le chemin formait un angle droit, après les arbres. Xyla s’avança pour mieux voir l’horizon et son regard dévora tout entier une immense construction de pierre qui s’imposait au loin, devant elle. Elle resta bouche-bée devant le monument qui s’élevait du silence glacial et touchait les aurores boréales qui dansaient dans le ciel. Xyla espérait qu’elles se dirigeraient vers cette construction, pour qu’elle puisse l’admirer de plus près mais à la croisée des chemins, elles prirent route qui tournait à droite, vers le nord. Le trajet fut long et pénible pour Xyla car Lavinis était devenue aussi froide que la région et ne prononçait pas un mot. Elles traversèrent ainsi toute la partie nord-est du Fjord, jusqu’à arriver aux neiges des montagnes. Pour la première fois, Lavinis s’arrêta et ouvrit la bouche.
-      Il ne nous reste plus qu’à traverser ces montagnes et on devrait arriver à ce camp, de l’autre côté.
-      C’est encore loin ? demanda Xyla, en tapant ses sabots enneigés contre un rocher.
-      Le plus dur est derrière nous ! répondit Lavinis, qui avait reprit un peu de chaleur dans sa voix.
-      Tant mieux !
Elles reprirent leur route, jusqu’à arriver à un petit pont de bois, gardé par un vieux taunka, race locale de tauren à en croire leur apparence.
-      On ne passe pas ! annonça le taunka, en barrant la route aux voyageurs.