14/09/2010

L'arène de sang

L’arène de sang


Après avoir lancé de toutes ses forces sa masse dans l’unique œil de l’affreuse créature qu’ils avaient croisée, Lavinis s’était encourue à toutes jambes. Ne sachant pas où Xyla et Malevih s’étaient cachés, elle avait couru jusqu’à ne plus entendre les cris du monstre. A la tombée du jour, elle s’était trouvé un abri simple, dans les bras d’un tronc d’arbre tordu. Elle s’y installa pour songer et chercher une solution pour retrouver ses deux compagnons. Mais ses idées étaient bien trop confuses. La solitude et ce lourd silence lui pesaient. Elle remarqua qu’elle n’avait plus l’habitude d’être seule et Xyla lui manquait affreusement.
Lavinis baissa les yeux et fixa attentivement un brin d’herbe qui dansait parmi d’autres, entre ses deux pieds. Prenant le rythme de la danse, elle se mit à soupirer plusieurs fois, à la même cadence. Elle ferma ensuite les yeux un instant et expira fortement. Ses oreilles, d’habitude si droites et si fières, s’affaissèrent soudain et ses cheveux semblèrent se ternir. Les yeux toujours clos, elle afficha un mince sourire narquois sur son visage.
-          Pourquoi tu t’inquiètes pour ces ploucs ? dit-elle à travers ce sourire satisfait.
Lavinis sursauta à ses propres mots et ses oreilles se redressèrent, en alerte. Ses cheveux retrouvèrent aussitôt leur brillance habituelle. Elle se redressa pour voir au-delà du gros tronc d’arbre qui l’enserrait. Personne. Rabattant son regard suspicieux sur elle-même, elle se rassit, en serrant les lèvres, comme pour éviter que quelque chose n’en sorte.
Mais « quelque chose » n’attendit pas longtemps. Les oreilles de l’elfe de sang s’affaissèrent à nouveau, formant un arc de cercle, et une voix rauque sortit de sa bouche :
-          T’as autr’chose à foutre, nan ? Y’a de l’or à gagner à l’arène, t’attends quoi ?
Lavinis hoqueta et tira nerveusement la pointe de ses oreilles vers le haut. Elle regarda à nouveau autour d’elle, pour s’assurer qu’elle était bien seule. Plaçant sa main droite devant sa bouche, pour étouffer sa voix, elle chuchota.
-          Tais-toi ! Il faut retrouver Xyla !
Un rire forcé s’éleva du tronc d’arbre tordu, suivi de quelques mots rauques.
-          De l’ooooor, Lavinis ! De l’or et de la gloire !
L’elfe de sang lissait ses belles oreilles pour entretenir leur courbure vers le sol. N’entendant plus de réplique, elle entreprit de se déshabiller. Elle commença par le dessus, déchirant le col en V, pour laisser respirer sa poitrine qui était à deux doigts de s’échapper de son vêtement, à présent. Marquant un sourire de satisfaction, elle s’attaqua au dessous.
Lavinis se retrouva les deux mains glissées dans son pantalon et hurla. Elle les ôta vivement de cet endroit, avant de sentir l’air frais de la nuit s’engouffrer entre ses seins. Voyant la catastrophe, elle tira les deux morceaux de tissus déchirés, pour essayer de les unir à nouveau. Exténuée par les événements de la journée, elle lâcha les lambeaux de vêtement qui retombèrent nonchalamment sur sa poitrine presque libérée. Elle ne savait plus très bien où elle devait se situer et préféra s’endormir, espérant que la nuit lui porte conseil.

Lavinis se réveilla peu avant la fin de la nuit. Les étoiles brillaient encore de tout leur feu, dans le ciel de Nagrand. D’habitude, elle aurait apprécié cet instant mais la fraîcheur matinale lui rappela crûment sa nouvelle tenue vestimentaire. Elle sortit de son nid et repéra le nord. Une brise glaciale vint la mordre, dès qu’elle eut mis le pied dehors. Elle frissonna et croisa ses bras sur sa poitrine, pour tenter de se réchauffer.
Dans la plaine encore endormie, Lavinis avançait à pas feutrés. Elle se dirigeait vers l’arène de sang. En s’endormant, quelques heures plus tôt, elle avait espéré que la nuit lui apporte le calme dans son esprit mais elle était plus perturbée que jamais. Elle avait le sentiment d’être traquée et se retournait souvent, mais seule l’empreinte de ses pas dans l’herbe grise du matin la narguait. De temps à autre, elle levait les yeux au ciel, espérant y trouver un repère qu’elle cherchait en vain dans son enseignement thalassien. Elle était confrontée à sa solitude et à la dure réalité de devoir affronter seule l’Outreterre, si elle ne parvenait pas à retrouver Xyla. A cette pensée, Lavinis sentit son ventre se nouer et sa gorge se serrer. Elle s’arrêta un instant pour se ressaisir et se redresser. Elle en profita pour étirer son dos qui lui faisait affreusement mal, depuis qu’elle avait dormi parmi des racines. Puis elle passa ses mains sur son visage et étira sa peau vers ses oreilles. Elle finit en lissant du bout des doigts, la tranche délicate de chaque oreille. Mais lorsqu’elle voulu étirer son oreille gauche, elle constata que la pointe de cette dernière restait affaissée, comme si on l’avait affligée d’un poids. Un hoquet nerveux lui monta à la gorge et elle se figea. D’une main tremblante, elle toucha une dernière fois cette oreille gauche qui n’avait plus rien de la grâce elfique.
-          Putain, on va pas y passer la journée non plus ! hurla-t-elle. On y va à cette arène, bordel de troll ?
Lavinis grimaça en entendant ces mots dans sa propre bouche. Elle se retourna en espérant qu’ils seraient venus d’une autre personne cachée derrière elle. Mais rien… Juste son ombre qui ondulait à la lumière naissante de l’aube. Elle l’observa un instant et elle aurait juré que sa propre ombre essayait de lui montrer ses fesses. Outrée, elle se retourna et continua son chemin vers le nord, bien qu’elle ne savait elle-même pas pourquoi elle se rendait là-bas.
Plusieurs minutes s’écoulèrent et Lavinis était soulagée de n’entendre rien d’autre que Nagrand qui s’éveillait. Elle tirait malgré tout régulièrement sur la pointe de son oreille gauche, pour essayer de la redresser mais rien n’y faisait. Elle s’arrêta finalement devant un village en ruine qui dégageait une odeur nauséabonde.
-          Tu crois que si on retrouve cette grosse taurène crevée, elle aura encore bon goût ? demanda-t-elle soudain.
Lavinis manqua de s’étrangler. Elle sentit la rage monter et fit volte-face avec la rapidité d’un éclair. Prenant son air le plus menaçant, elle hurla sur son ombre qui répétait machinalement les mêmes gestes qu’elle. Elle s’égosilla pendant de longues secondes puis se retourna à nouveau et entra dans le village en ruine, espérant laisser son ombre sur place.

L’odeur nauséabonde des restes du village se fit vite comprendre, par la présence des ogres qui y résidaient. Heureusement pour elle, il était encore bien trop tôt et les monstres répugnants dormaient profondément. Lavinis n’eut guère de mal à trouver l’arène de sang qui se devinait depuis l’entrée du village. Elle remonta un court chemin et se retrouva face à un troll, un gobelin et un ogre à deux têtes, vêtu d’une draperie mauve. L’arène se trouvait dans un fossé, à sa droite. Les parois de terre étaient largement renforcées par des planches en bois, admirablement décorées de rondins aiguisés et plantés transversalement. L’arène portait très bien son nom puisque le sol, les planches de bois et surtout la pointe des rondins étaient parsemés de sang. Derrière l’arène, Lavinis aperçut un sabot-fourchu gigantesque, au pelage fauve. L’animal était enfermé dans une cage et se cognait violemment contre les barreaux de sa prison, faisant trembler le sol. A côté de lui, dans une cage sphérique, faite d’énergie étherienne, un marcheur du vide concentrait son énergie. Il dégageait une aura violette et paniquante. Après avoir observé ses futurs adversaires, Lavinis s’avança vers le troll, qui se tenait entre les deux autres étranges personnes. Le gobelin lui jeta un regard malveillant et une des deux têtes de l’ogre renifla dans sa direction, alors que l’autre regardait avidement le décolleté prononcé de Lavinis.
-          Bonjour, je viens affronter vos monstres ! déclara-t-elle au troll.
-          Et tu crwois vrwaiment que tu vas y arrwiver toute seule, petite sotte ? ricana le troll, en regardant l’elfe de sang de haut en bas.
-          On ne vous demande pas de juger si j’en suis capable ou non ! Je peux me battre !
-          Et avec quelle arwme tu comptes vaincrwe mes monstrwes ?
-          Euuuuh …
Le troll éclata d’un rire gras.
-          Tiens petite sotte, prwends au moins ça ! Je n’aime pas les combats trwop courwts !
Il lui tendit une lance rudimentaire, taillée dans un bois solide et contrebalancée à son autre extrémité d’un silex tranchant. Elle pourrait ainsi faire double usage de son arme.
-          Allez-y mais méfiez-vous du vaudou ! lui dit le troll en faisant un grand geste au-dessus de la tête de Lavinis.
-          Très bien ! J’y vais …
Lavinis descendit dans l’arène, alors que le gobelin se dirigeait pour ouvrir la cage du sabot-fourchu. Pour se donner confiance, elle soupesa sa nouvelle arme et essaya quelques mouvements dans le vide.
-          Je suis prête, dit-elle pour elle-même.
Le gobelin ouvrit la porte de la cage et le sabot-fourchu en sortit aussitôt, pour se rendre dans le fossé de l’arène.
-          Mesdames et messieurs, ogrwes et ogrwesses, hurla le troll, nous accueillons aujourwd’hui une jeune elfe de sang aux tendances suicidairwes. Elle va affrwonter Brwisorwteil, notrwe sabot-fourchu enrwagé, dans l’arwène de sang ! Prwiez pour l’âme de la pauvrwe crwéaturwe qui rwougirwa le sol. QUE LE COMBAT COMMENCE !
Brisorteil reconnut là des mots sensés et renifla bruyamment, dans la direction de Lavinis. Il remplissait un quart de l’arène, à lui tout seul. Il lui suffisait d’une charge pour empaler l’elfe de sang contre la paroi et, par expérience, il le savait très bien. L’animal fixa intensément sa future victime, gratta le sol de ses sabots cornés et émit un grondement sourd avant de se lancer dans sa course.
Lavinis n’avait pas encore bougé et s’était contentée d’observer son adversaire qui ne semblait présenter aucun point faible. Il était recouvert d’un épais pelage fauve et là où il n’y avait pas de poils, c’était une peau cuirassée qui le protégeait. Ses pattes semblaient encore plus renforcées, par l’épaisse couche de corne qui couvrait ses sabots. Au moment où l’animal se mit à charger, elle sentit la terre vibrer sous ses pieds. Maîtrisant son calme, elle attendit que l’animal s’approche suffisamment puis elle se jeta sur le côté et roula gracieusement pour se relever dans la seconde. Brisorteil, trop lourd pour arrêter son élan, s’écrasa contre une paroi de l’arène, la brisant sous le choc. De toute évidence, il avait réservé toute sa puissance à ce premier coup, ce qui permit à Lavinis de calculer sa force et d’anticiper ses prochaines attaques.
Brisorteil continua ses charges, manquant l’elfe de sang à chaque fois car elle avait l’avantage de ne pas peser plus d’une tonne et de pouvoir ainsi esquiver plus facilement. Mais esquiver, c’est tout ce qu’elle arrivait à faire. L’animal ne s’épuisait pas et Lavinis ne le touchait pas. Par deux fois, il avait manqué de l’écraser avec ses grosses pattes, ce qui lui avait fait un puissant appel d’adrénaline. Le combat dura, de charges en esquives. De temps à autres, elle entendait les commentaires dénigrants du troll, ce qui l’énervait d’autant plus.
-          J’aimerais bien t’y voir ! hurla-t-elle au troll, excédée par son dernier commentaire qui l’avait comparée à un pet d’ogre.
Brisorteil profita du détournement d’attention de sa proie pour charger à nouveau, concentrant sa puissance dans ce coup qu’il était sûr de réussir. Lavinis se retourna au dernier instant, voulut se jeter sur le côté mais la peur venait de pétrifier ses jambes. Une fraction de seconde lui suffit pour revoir sa vie défiler devant ses yeux, dont les pupilles s’était suffisamment dilatées qu’elles auraient pu embrasser le monde d’un regard. Mais la dernière image ne fut pas un gros plan sur le sabot-fourchu mais une grosse masse blanche qui se jetait sur l’animal en charge, le déviant de sa trajectoire. Brisorteil finit sa course à quelques centimètres de Lavinis, qui fut soufflée par le choc de la bête contre la paroi de l’arène.
Ses yeux lui brûlaient affreusement, à cause de la poussière qui y avait été projetée. Elle ne distinguait presque plus l’animal et devait se repérer à son ouïe, qui lui disait qu’elle avait peu de temps avant que Brisorteil se relève. Parmi le tourbillon de couleurs qui se mélangeaient devant ses yeux, Lavinis distingua une main qui était tendue vers elle. Une main avec deux doigts et une plume à la place du pouce.
-          Xyla ! dit-elle avec soulagement.
-          Relève-toi.
Lavinis attrapa la main de son amie qui la redressa sans peine.
-          Comment tu m’as retrouvée ?
-          Je t’ai vue du ciel.
-          Tu sais voler ?
-          Pas tout à fait …
Brisorteil avait entre temps récupéré ses esprits et mit rapidement fin à leur retrouvailles. Xyla se transforma instantanément en félin et bondit sur le sabot-fourchu, toutes griffes dehors. Stupéfaite de voir l’animal touché pour la première fois depuis le début du combat, Lavinis en profita pour lui jeter sa lance de toutes ses forces. Mais la peau de Brisorteil, sous son épais pelage, semblait aussi dure qu’une carapace et la lance lui ricocha dessus, comme un galet ricoche sur un limon. Xyla, toujours sur le dos de la bête, griffait, mordait à loisir. Brisorteil ne semblait pas en souffrir et se concentra à nouveau sur Lavinis, prêt à charger.
Tout se passa en un éclair ensuite ; Lavinis, au lieu d’esquiver, se mit à courir dans l’arène, pour mener Brisorteil à un endroit précis. Xyla profita du manège de son amie pour mordre une oreille de l’animal, ce qui s’avéra être un point sensible et enragea d’autant plus la bête. Brisorteil s’arrêta pour recadrer son tir, gratta le sol et fonça en poussant un cri dément. Au dernier instant, Lavinis s’écarta de la place qu’elle avait tant tenu à prendre, pour découvrir un rondin parfaitement taillé, derrière elle. Brisorteil voulut s’arrêter en voyant le piège qui lui avait été tendu mais des sabots cornés et fourchus n’ont pas de bonne prise au sol.
Un bruit terrible, suivi d’un souffle et puis plus rien. Le silence. L’ahurissement.
Ce fut finalement le troll qui prononça les premiers mots.
-          Contrwe toute attente, la petite elfe s’en est sorwtie face au terrwible Brwisorwteil ! Puisse l’âme de notrwe sabot-fourwchu rweposer en paix.
Après quoi il claqua des doigts et le gobelin se dirigea vers la cage étherienne. Il inséra une pièce plate et hexagonale dans l’emplacement prévu à cet effet. Aussitôt, le champ qui emprisonnait le marcheur du vide disparut, laissant place à la créature qui dégageait une aura de puissance et de terreur.
Xyla n’avait pas encore eu l’occasion d’observer le monstre mais depuis le dos de la carcasse de Brisorteil, au-dessus des résidus de poussière de l’arène, elle fut pétrifiée à sa vue. Et sous ses yeux, le marcheur du vide disparut dans un siphon d’énergie bleue foncée, pour réapparaître au centre de l’arène, juste en face de Lavinis.

De sa voix rauque, le troll annonça le second combat.
-          Elle était seule contrwe Brwisorwteil, elles serwont deux à se battrwe contrwe le nébuleux Skrwa’gath ! QUE LE COMBAT COMMENCE !
Lavinis et Xyla se ruèrent sans attendre, sur le marcheur du vide, qui n’avait pas bougé de sa place. Xyla sauta de son perchoir et Lavinis plongea vers Skra’gath, en maintenant sa lance vers son adversaire. Au moment de l’impact, il n’y eut pas le choc attendu, rien à enfourcher, rien à griffer ou à mordre. Xyla et Lavinis traversèrent le marcheur du vide et se retrouvèrent emmêlées, de l’autre côté de la créature. Skra’gath se retourna pour regarder ses deux adversaires. Il émit un cri venu d’outre-tombe, le bruit du vent qui rugit dans les canyons des Milles Pointes. Lavinis et  Xyla se redressèrent aussi vite que possible et s’éloignèrent de la créature, qui semblait moins offensive que Brisorteil mais également intouchable…
-          Bon, on fait comment alors si on ne peut pas le toucher ? demanda Lavinis.
-          Je pourrais lui jeter du lait dessus ?
-          On va plutôt réessayer. Je me lance !
Lavinis tourna son arme pour présenter le côté tranchant du silex à la créature et elle s’élança. Cette fois, elle préféra éviter de prendre le risque de traverser le marcheur du vide et lui envoya des coups sifflants, tout en lui tournant autour. Skra’gath observait Lavinis et chaque coup le traversait, entraînant une traînée bleutée dans le mouvement. Lorsqu’il eut assez du manège de l’elfe de sang, il émit un grondement qui résonna dans l’esprit de Lavinis et de Xyla. Après quoi, il condensa son énergie et, sans même que Lavinis n’ait eu le temps de comprendre d’où ça venait, il lui envoya une boule d’énergie noire condensée, ce qui la propulsa sur le cadavre de Brisorteil.
Skra’gath regarda Lavinis avec satisfaction puis remarqua un jet de lait qui lui traversait le corps, depuis son dos. En se retournant, il remarqua la taurène qui lui vidait son pis dessus, en visant du mieux qu’elle pouvait. Lorsqu’elle eut finit et constata que son plan n’avait pas fonctionné, elle grimaça.
-          Bah zut …
Le marcheur du vide pointa Xyla de son doigt impalpable et lui dit quelque chose dans une langue gutturale et sonore. Xyla y comprit là son arrêt de mort et se mit à courir dans l’arène en criant.
Entretemps, Lavinis s’était relevée et entama une troisième approche ; elle tenta un Exorcisme dans le dos du marcheur du vide, profitant de la diversion bruyante que faisait Xyla.
Skra’gath reçut le coup de plein fouet et poussa un hurlement de douleur. C’était gagné, la créature était intouchable par le physique mais sensible à la magie.
-          Xyla, il faut que tu utilises de la magie pour le battre ! cria-t-elle.
-          Un éclat lunaire ? cria Xyla, sans s’arrêter de courir.
-          Non, plus puissant !
-          J’ai rien de plus puissant.
-          Essaye alors, je vais le concentrer sur moi pendant ce temps.
Lavinis jeta son arme vers Skra’gath, pour attirer son attention sur elle. Le marcheur du vide regarda la lance le traverser et s’avança vers l’elfe de sang. Il condensa à nouveau son énergie et au moment où il s’apprêtait à l’envoyer, Lavinis se protégea d’une aura de Lumière. Malheureusement, le choc des deux énergies fut trop violent et Lavinis fut à nouveau expulsée contre la carcasse de Brisorteil.
En voyant son amie en difficulté, Xyla réfléchit au sort qu’elle pouvait utiliser mais rien ne lui venait à l’esprit. Elle était angoissée et ses idées volaient en tout sens. Elle chercha du regard quelque chose qui aurait pu l’aider, n’importe quoi. A gauche, du sang et de la terre. A droite, de la terre et du sang. Devant et derrière, toujours pareil. Au-dessus, des nuages.
-          Des nuages…, marmonna Xyla.

Skra’gath n’avait pas attendu que Lavinis se relève, pour condenser son énergie à nouveau et lui envoyer une deuxième rasade, qu’elle évita de justesse, en se protégeant derrière la queue du gros sabot-fourchu. De sa cachette, on entendit un cri aigu, suivi d’un « répugnant ! » appuyé.
Le marcheur du vide condensa à nouveau son énergie pour enchaîner un troisième coup, lorsque le ciel s’assombrit. Intrigué par cette diminution soudaine de luminosité, il regarda au-dessus de lui et vit de gros nuages noirs à deux mètres à peine de sa tête. Il n’eut pas le temps d’en comprendre la provenance, qu’un éclair s’abattit sur lui. Hurlant de douleur, le marcheur du vide tenta de quitter la zone nuageuse mais un second éclair le foudroya, suivi instantanément d’un autre et encore un autre. Le marcheur du vide poussa un dernier râle rauque et se décondensa pour la première fois. Une vapeur bleuté s’éleva et se mélangea aux nuages qui se dissipaient déjà.
A l’autre bout de l’arène, Xyla baissa les bras et soupira de soulagement. Lavinis sortit de sa cachette, en frottant ses vêtements d’un air dégoûté. Elle s’approcha ensuite de Xyla et la dévora des yeux.
-          Où as-tu appris à faire ça ? lui demanda-t-elle.
-          Aucune idée, ça m’est venu comme ça.

* * *

Après leurs laborieux combats, Lavinis remonta de l’arène de sang et se dirigea fièrement vers le troll, qui se grattait encore la tête, après ce qu’il venait de voir.
-          Mon or ! ordonna-t-elle en tendant la main.
Le troll considéra Lavinis un instant puis se mit à rire.
-          Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle, donnez-moi mon or !
-          Le combat n’est pas terwminé, petite sotte !
-          Quoi ?
Lavinis se retourna pour regarder l’arène où seule Xyla se trouvait.
-          J’ai bel et bien vaincu vos deux monstres alors oui, le combat et fini !
-          Qui a dit que tous mes monstrwes étaient en cages ?
Lavinis reçut un violent coup de poing dans l’estomac et se retrouva propulsée dans l’arène, où elle s’écrasa, après avoir rebondit une fois contre le sol rouge.
L’ogre à deux têtes, qui s’était tenu sagement à la gauche du troll, bondit à son tour dans l’arène, pour rejoindre son adversaire qu’il avait déjà bien affaiblie.
Le troll beugla l’annonce du troisième combat.
-          A l’issue assez inattendue du combat contrwe Skrwa’gath, l’elfe de sang et la taurwène contre notrwe champion à deux têtes : Mogorw! QUE LE COMBAT COMMENCE !
-          Mogor ? C’est ton petit nom, gros tas ? provoqua Lavinis, le souffle encore court.
L’ogre grogna dans sa direction.
-          J’en ai mangé des pires que toi ! insista-t-elle.
Lavinis pointa son arme vers Mogor, pour le menacer. Voyant qu’il ne réagissait pas, elle s’élança dans sa direction. L’ogre devait bien faire quatre fois sa taille et ses deux têtes fixèrent leur attention sur cette première attaque. En un mouvement lent, Mogor attrapa l’extrémité de la lance qui fonçait vers lui et l’arracha des mains de Lavinis, emportant aussi la moitié du blouson de l’elfe de sang. Lavinis se retrouva avec un sein à l’air libre, ce qui déconcentra fortement la tête de gauche de l’ogre. Xyla, qui était restée discrète dans un coin de l’arène, en profita pour s’approcher en félin et lancer un bon coup de griffe dans les mollets de Mogor qui ressaisit sa moitié et se retourna en grognant. Il montra des dents et laissa couler un filet de bave en regardant la taurène. Xyla n’attendit pas de se prendre un coup et fonça entre les jambes de l’ogre, qui suivit bêtement sa course et se renversa lui-même.
-          Aller Mogorw, tu vas pas te laisser fairwe parw des mouches parweilles ! hurla le troll, depuis le haut de l’arène.
L’ogre se releva et courut immédiatement sur Lavinis, qui essayait de cacher son sein comme elle pouvait. Privée de sa seule arme, elle ne pouvait plus rivaliser avec ce monstre de muscles et de graisse. Elle adopta alors la technique de Xyla, qui consiste à courir dans l’arène en criant. Avantage pour elle, elle était plus légère et plus habile, ce qui lui permettait de garder la distance entre elle et Mogor.
Xyla essaya d’attaquer l’ogre plusieurs fois, lorsqu’il passait près d’elle mais avec ses deux têtes, il gardait toujours un œil sur le félin prêt à bondir et Xyla se voyait valser à chaque attaque.
Lavinis commençait à perdre son endurance et Xyla s’affaiblissait à chaque coup qu’elle recevait.
-          Il faut trouver quelque chose ! cria Lavinis, en gardant le rythme.
-          C’est deux contre deux, il nous faudrait de l’aide ! répondit Xyla, en esquivant un coup de pied de Mogor.

* * *

Malevih s’était séparé de Xyla, dès qu’ils avaient réussi à descendre de leur île volante. Ils avaient eu la chance de survoler Garadar, le village des orcs et d’y croiser un gardien des airs qui les fit descendre.
Xyla s’était précipitée vers l’arène de sang, laissant Malevih aux mains des orcs qui le dévisageait.
Ne sachant que faire, il se promena dans le petit village mais ne parvint pas à savourer la beauté simple qui l’entourait. Il entra finalement dans la hutte centrale qui dominait Garadar. Une vieille orque qui était assise par terre, lui sourit en le voyant entrer. Elle avait des cheveux argentés qui lui tombaient sur les épaules et sa peau était plissée par le temps. Mais son regard était plein de compassion et de sagesse.
-          Tu es bien loin de chez toi, jeune tauren ! dit-elle à l’attention de Malevih.
Pour toute réponse, il lui hocha la tête et s’approcha d’elle de quelques pas.
-          Quel est ton nom ?
-          Malevih, dit-il doucement.
-          Et que fais-tu ici ?
Malevih voulut se lancer dans un long récit, illustré de grands gestes théâtraux, comme il avait eu l’habitude de faire toute sa vie. Car il avait survécu comme ça, en inventant des histoires, en mettant de la poudre aux yeux des gens qu’il ne connaissait pas. Il en gagnait ainsi leur confiance, sans aucune intention d’en faire bon usage.
Mais lorsqu’il ouvrit la bouche pour commencer son récit, il se rendit compte que, pour la première fois, c’était vraiment son histoire qu’il allait s’apprêter à raconter. Il repensa à tout ce qu’il venait de vivre ces dernières semaines et aux relations qu’il avait nouées.
-          Je crois que je suis perdu, finit-il par dire.
La vieille orque se mit à rire.
-          Tu n’es pas le premier à te perdre, Malevih ! Mais sais-tu seulement où tu t’es perdu ?
-          Euh … je ne comprends pas…
-          Je ne pense pas que tu te sois perdu parce que tu es loin de chez toi…
L’orque marqua une pause et observa Malevih, de ses yeux brillants. Elle semblait lire à travers lui et il s’en sentit gêné. L’orque fronça les sourcils un court instant puis son regard s’éclaircit à nouveau.
-          Le courage est en chacun de nous, dit-elle enfin. Il se cache parfois car il a honte. Mais affronter cette honte nous permet de retrouver l’honneur et la fierté.
-          Je ne comprends rien du tout…
-          Tu comprendras quand tu seras prêt, Malevih ! Maintenant va ! Tu as quelque chose d’important à faire !

* * *
Après avoir demandé à un orc du village où se trouvait l’arène de sang, Malevih se mit en marche pour rattraper Xyla. Sur le chemin, il repassa dans tous les sens les paroles de la vieille orque.
-          Elle est complètement siphonée ! se dit-il pour se rassurer.

Il arriva finalement à l’entrée du village en ruine qu’on lui avait décrit. L’odeur qui s’en dégageait ne lui présagea rien de bon et il resta sur ses gardes. Il n’y avait qu’un court chemin à remonter pour atteindre l’arène de sang. Malevih s’avança doucement en se collant au mur ébrêché d’une maison ronde. Tentant de maîtriser son souffle, il se prépara à courir jusqu’à l’arène. Il lança un premier sabot sur le chemin et aperçut un ogre qui se grattait allègrement les fesses, à quelques mètres de là.
Evitant de justesse de pousser un cri d’effroi, il fut comme aspiré par le mur duquel il venait de se détacher. Il aurait voulut pouvoir se fondre dans la paroi de la maison, pour éviter d’être vu. Son souhait fut exaucé la seconde suivante puisque, dans un grand craquement, le mur céda sous sa pression et il le traversa pour atterrir au centre de la maison. L’habitation, déjà fragilisée, s’effondra sur elle-même, soulevant un gros nuage de poussière. Dans l’effondrement, Malevih eut la chance de s’être trouvé au bon endroit et il ne fut pas touché. Il profita du nuage de poussière pour se camoufler et rejoindre l’arène, tandis que les ogres regardaient de leurs yeux vides d’intelligence, la maison qui venait de leur faire ses adieux.
Malevih arriva enfin au sommet du chemin et reconnut immédiatement Xyla dans l’arène. Elle se battait contre un ogre à deux têtes et semblait être en difficultés. Il reconnut également Lavinis, qui lui tournait le dos. Le monstre à deux têtes semblait anticiper tous les mouvements de Lavinis et de Xyla, si bien qu’il leur était impossible de l’attaquer par surprise et donc de le toucher. De plus, l’ogre était protégé par une couche de graisse et de muscles et mesurait deux taurens et demi !
Malevih frissonna mais se ressaisit en voyant Xyla se heurter contre le poing lourd de l’ogre, et être propulsée à plusieurs mètres.
-          Bien, dit-il pour lui-même, position adéquate, les pieds légèrement écartés. Il faut que je me concentre, il s’agit de ne pas rater mon coup !
Malevih prit une position relativement stable, plia les genoux et ferma les yeux un court instant pour concentrer son énergie. Il tâchait de ne pas se laisser distraire par l’agitation qu’il y avait au cœur de l’arène. Il se remémorra les indications pour canaliser son énergie en un Eclat lunaire. Il ne lui fallut que quelques secondes pour se sentir fin prêt et lorsqu’il rouvrit les yeux, il vit avec joie une magnifique boule d’énergie argentée qu’il maîtrisait entre ses mains.
Il ramena ses sabots l’un contre l’autre pour se grandir, leva les bras au ciel et chercha son point de focalisation. Il se fixa sur l’entre-têtes de l’ogre. Malevih jeta un dernier regard à Xyla et Lavinis, pour être sûr de ne pas les toucher. Il était prêt à lâcher la condensation d’énergie argentée qui grossissait au-dessus de sa tête, lorsque son regard s’arrêta sur le sein découvert de Lavinis. Malevih perdit soudainement ses moyens et le contrôle de son Eclat lunaire, qui s’en alla de lui-même sur le point où il venait de fixer toute son attention.
-          ARGH NON, REVIENS ! cria-t-il à son Eclat lunaire.
L’énergie argentée fila vers Lavinis et explosa juste entre elle et Xyla. Médusés, les trois combattants de l’arène relevèrent le regard vers la source de cette catastrophe et virent Malevih, perché en haut des planches de la paroi.

Tout se passa ensuite très vite car Xyla et Lavinis profitèrent de la diversion créée par Malevih, pour attaquer Mogor, qui n’avait pas assez de ses deux têtes pour réfléchir suffisamment vite et se reconcentrer sur le combat.
Lavinis envoya un grand coup de pied dans le genou de l’ogre et Xyla se jeta sur lui, toutes griffes dehors. Surpris et déséquilibré, Mogor bascula et chuta lourdement. Xyla s’acharnait sur une de ses deux têtes et Lavinis sur l’autre. Malevih, quant à lui, était descendu dans l’arène et frappait le ventre graisseux de l’ogre, avec un bout de bois.
Mogor finit par crier grâce en regardant son maître. Le troll attendit encore un petit instant avant d’annoncer la victoire des trois participants. De toute évidence, il préférait que son ogre reçoive sa punition d’avance, pour avoir perdu un combat aussi important.
Amèrement, il offrit la récompense due. Lavinis et Xyla eurent droit à un cadeau supplémentaire, pour avoir enduré les trois combats.
-          Pourw toi, petite sotte, je t’offrwe cette hache du vide affutée, dit le troll, en tendant à Lavinis une splendide hache parfaitement finie. Fais-en bon usage !
Le troll s’avança ensuite vers Xyla, qui léchait ses plaies, toujours transformée en félin.
-          Et pourw toi, grwos chat, je t’offrwe le bâton des bêtes !
-          Merci ! A propos, j’ai une question…
-          Je t’écoute.
Xyla s’approcha un peu plus près du troll.
-          Les mouches parweilles, c’est comme les mouches taurènivores ?